Le Conseil de la nation a été le théâtre d'une fronde inédite. Des sénateurs de la majorité (RND, FLN, tiers présidentiel) se sont rebiffés contre l'arrestation, durant le mois d'août dernier, de leur collègue de Tipasa, Malik Boudjouher, accusé de «corruption» et sacrifié par son parti, le RND. Agglutinés à l'entrée de l'hémicycle, les contestataires ont décidé de boycotter la séance d'ouverture de la session du Conseil, présidée par Abdelkader Bensalah. Ce dernier s'est retrouvé, en effet, dans une salle presque vide ; il n'y avait à l'intérieur que quelques sénateurs et des membres du gouvernement qui se sont sacrifiés à l'usage protocolaire qui les oblige à assister à cette cérémonie. Les contestataires dénoncent «un règlement de comptes» et «une atteinte à l'immunité parlementaire». Certains accusent même le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, de «vouloir attenter au Parlement». Pourtant, leur collègue a été pris en flagrant délit. Mais pour les protestataires, il y a «machination» contre le sénateur. «La décision de son arrestation est anticonstitutionnelle. Le sénateur est protégé par l'immunité parlementaire. Comment se fait-il qu'il se retrouve en prison sans preuve ?» lance le représentant du FLN, Mahmoud Kessari. Selon lui, aucun dossier «n'a été envoyé au Sénat concernant cette affaire», mais le bureau du Conseil de la nation n'a introduit «aucune demande de libération du concerné». Plus offensif, l'élu du FLN estime encore que le sénateur de Tipasa est «victime du pouvoir de l'argent» et d'un «règlement de comptes». «C'est un homme d'affaires puissant qui est derrière l'emprisonnement de notre collègue», ajoute-t-il, estimant que cette affaire «est liée à la présidentielle de 2019». Mahmoud Kessari rejette même la notion de «flagrant délit» car, dit-il, les «sénateurs sont dans leur majorité des hommes d'affaires et ils n'ont pas besoin d'être corrompus». Pour faire la lumière sur cette affaire, les contestataires exigent «une commission d'enquête parlementaire» et invitent le chef de l'Etat à intervenir. Le flagrant délit annule l'immunité Le fondeur ont-ils raison ? Que prévoit la loi ? La Constitution, révisée en 2016, codifie l'immunité parlementaire. L'article 127 de la Constitution stipule : «Les poursuites ne peuvent être engagées contre un député ou un membre du Conseil de la nation, pour crime ou délit, que sur renonciation expresse de l'intéressé ou sur autorisation, selon le cas, de l'Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la nation, qui décide à la majorité de ses membres la levée de son immunité.» L'article 128 en revanche annule l'immunité dans certains cas. «En cas de flagrant délit ou de crime flagrant, il peut être procédé à l'arrestation du député ou du membre du Conseil de la nation. Le bureau de l'Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la nation, selon le cas, en est immédiatement informé. Il peut être demandé, par le bureau saisi, la suspension des poursuites et la mise en liberté du député ou du membre du Conseil de la nation», précise cet article. Contacté par nos soins, l'avocat et président de l'Union nationale de l'Ordre des avocats, Ahmed Saï, donne encore d'autres précisions. Selon lui, «en cas de flagrant délit, il n'y a plus d'immunité». «J'ai bien suivi cette affaire. L'article 128 de la Constitution et l'article 111 du code des procédures pénales sont clairs. L'immunité n'a plus d'effet en cas de flagrant délit», explique-t-il. L'avocat cite des exemples de pays où l'effet de l'immunité est très limité. «En Tunisie et au Maroc, il y a un débat pour limiter le bénéficie de l'immunité parlementaire uniquement durant la session du Parlement. En Europe, on veut la limiter à la séance des débats en plénière», indique-t-il. Ainsi, l'attitude des sénateurs «frondeurs» paraît maladroite et scandaleuse.