Le dialogue entamé voici cinq jours au Liban semble se diriger vers une impasse. Les propos violents de Walid Joumblatt à Washington à l'encontre de la Syrie et du Hezbollah ont jeté un froid à Beyrouth et ne contribuent pas à améliorer un climat déjà crispé entre les interlocuteurs libanais d'un dialogue - dont la clôture est prévue pour demain - qui semble de plus en plus se diriger vers une impasse. Les thèmes de la conférence centrés sur le désarmement du Hezbollah et des Palestiniens- en application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, votée en septembre 2004-; l'élection présidentielle pour remplacer Emile Lahoud fortement contesté par la majorité parlementaire, la réévaluation des relations entre le Liban et la Syrie; enfin la constitution d'un tribunal international dans l'affaire Rafik Hariri étaient les principaux points mis sur la table de discussion. Peu de progrès ont été réalisés ces derniers jours alors que les déclarations de Walid Joumblatt, l'un des ténors du champ politique libanais, outre de brouiller les cartes, ne sont pas faits pour apaiser un climat déjà assez détestable. En visite à Washington le député druze et un des chefs de la majorité parlementaire avait déclaré, après son entretien avec la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, «Nous avons discuté de la façon de protéger la révolution du Cèdre pour la démocratie et la liberté (...) des agressions du régime syrien et de son extension iranienne», avait notamment indiqué M.Joumblatt. Apostrophant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, accusé de continuer de «défendre la Syrie» M.Joumblatt s'interrogeait sur le fait s'il (le Hezbollah) défendait un «programme pour le Liban». Allant encore plus loin, Walid Joumblatt appelle les Etats-Unis à imposer de nouvelles «sanctions contre la Syrie» selon la presse libanaise d'hier qui rapportait ses propos. Propos qui vont avoir pour effet de perturber un dialogue déjà assez mal parti. Pourtant en début de semaine, à l'ouverture du dialogue, un certain optimisme imprégnait les participants, comme le président du Parlement, Nabih Berri, chef du mouvement chiite Amel, qui indiquait samedi qu'en cas d'accord «les décisions de la Conférence de dialogue seront considérées comme des annexes aux accords inter-libanais de Taëf (1989)» qui, mirent fin à la guerre civile qui dura quinze années (1975-1990). M.Berri a également déclaré qu'un tel accord «servira de base à la reprise d'une initiative arabe» qui vise à régler les contentieux entre le Liban et la Syrie. Les dossiers mis sur la table de discussion étaient en fait importants et constituaient la genèse de la crise libanaise ouverte depuis la prorogation du mandat du président Emile Lahoud - mandat qui venait à terme en novembre 2004- crise aggravée par l'assassinat le 14 février 2005 de l'ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri, l'un des farouches opposants de la mainmise de la Syrie sur le Liban. Si la composante politique libanaise a été unanime pour l'adoption du projet de constitution d'un tribunal international pour juger l'affaire Hariri, les autres thèmes en discussion ont rapidement mis en exergue des divergences parfois inconciliables. De fait, le dialogue achoppe sur deux sujets controversés : l'application de la résolution 1559, désarmement des factions du Hezbollah et palestiniennes d'une part, les relations avec la Syrie d'autre part. Si à un moment un certain consensus semblait devoir se dégager concernant le désarmement du Hezbollah, après accord des diverses parties selon lesquelles c'est un problème d'ordre interne qui trouvera sa solution dans le cadre des lois libanaises, les déclarations de Joumblatt ont quelque peu fragilisé cet assentiment. De fait, l'armement du Hezbollah est en rapport direct avec l'occupation des fermes controversées de Chebaa par Israël, occupation que le Hezbollah considère comme un «casus belli» l'autorisant à poursuivre la lutte pour leur libération. Toutefois, Saad Hariri et Walid Joumblatt, chefs de la majorité dite anti-syrienne plus pragmatiques estiment que la solution doit rester aux moyens diplomatiques exigeant, cependant, de la Syrie qu'elle reconnaisse officiellement, par une déclaration devant l'ONU, la «libanité» de ces fermes et la mise au point d'un tracé définitif des frontières entre les deux pays. Concernant le désarmement des Palestiniens, une source proche du dialogue avait indiqué qu' «Il y a eu un accord de principe sur la nécessité de désarmer les bases palestiniennes pro-syriennes hors des camps de réfugiés et de réglementer l'armement à l'intérieur des camps de réfugiés» Toutefois reste encore à désigner l'interlocuteur libanais des Palestiniens, certains des participants estimant que ce rôle doit revenir au gouvernement. Alors que le dialogue avançait, certes difficilement, que des points de rapprochement ont été trouvés, les déclarations de Joumblatt à Washington ont refroidi le climat, soulevant un vent de pessimisme sur la conférence appelée à remettre le pays des Cèdres sur l'orbite de l'unité. L'influent quotidien beyrouthin As Safir résumait hier l'opinion générale après la sortie américaine de Joumblatt, indiquant: «Les positions de Joumblatt embarrassent ses alliés et suscitent des interrogations sur l'utilité de la poursuite des discussions». En effet, à Washington le chef druze semble avoir tracé les limites d'un dialogue qui, à son ouverture, promettait beaucoup, dont la mise en oeuvre des conditions de (re)cimenter l'unité du Liban et des Libanais.