Le vent mauvais lui griffe le visage et elle, stoïque, rase les murs, le regard baissé vers le sol pour rejoindre sa place. Elle est là à attendre que quelque âme charitable lui tende doucement une piécette. A côté, un jeune homme, la corbeille pleine de fleurs en plastique, propose aux couples et aux jeunes la rose à offrir. C'est le 8 mars, la Journée de la femme. Notre Saâdia a connu, elle aussi, ses heures de bonheur. Elle se souvient de celui, qui, durant quelques années, lui a doucement menti, en lui disant qu'elle était la plus belle et la plus douce des femmes. Alors son regard était plein de bonheur et l'avenir s'annonçait des plus beaux. Mais voilà, l'homme est, dit-on, un inconstant. Une brève rencontre de son époux avec une jeunette et le monde de Saâdia bascula dans la tourmente. Aujourd'hui, et après avoir longtemps erré dans les rues de la ville où elle a trouvé refuge, Saâdia vit de la générosité des passants. Le pied gercé, le visage méchamment griffé par les ans et les vents, le corps frêle vêtu de méchants atours, le tout caché par une fouta défraîchie. Sa main tremble et ses pensées tournent et retournent le sens de la rose. Elle avait reçu elle aussi cette fleur et avait bu les paroles doucereuses et prometteuses. Mais la fleur s'était fanée tout comme son coeur de femme blessée et meurtrie. Elle connaît désormais ce langage et sourit pauvrement quand, par hasard, elle voit un homme offrir des fleurs à une femme, en son for intérieur elle sait que les serments d'amour, durent le temps d'une rose. Saâdia est mendiante, elle demande son pain alors qu'avant elle mendiait l'amour de son homme. Dur retournement de situation à celle-là, qui fut belle et jeune. Saâdia est désormais cette mendiante qui ne pense qu'à sa survie et personne ne fait attention à elle. C'est une personne invisible, elle-même s'attache à ne pas se faire remarquer et elle se contente de regarder le monde qui l'ignore. Tous les 8 mars, elle, qui connaît le sens de cette fête, Saâdia, qui a été quelque temps à l'école, a envie de hurler et de dire aux femmes, à toutes les femmes «attention aux promesses». Mais qui donc se soucie d'elle, ce tas de chiffons qui va oser parler à celles-là, qui, pouponnées et parfumées, ont envie, tel le papillon de nuit, de se brûler les ailes. Saâdia ne vit plus mais se contente de survivre, et en ce 8 mars, ses souvenirs d'antan l'assaillent, et pour fuir ce monde, qui, désormais, n'est plus le sien, s'ébroue et reprend doucement sa faction de la vie. Saâdia, courbée devant les rafales de la vie et du vent mauvais n'est plus qu'une ombre. Le 8 mars est surtout une halte pour se remémorer les pas accomplis et les étapes qui restent pour qu'enfin la femme soit enfin considérée non pas comme objet mais comme un être en mesure d'apporter sa contribution à la société.