L'oeil de Washington sera grand ouvert sur cette nouvelle impulsion des relations algéro-russes. Le président russe, Vladimir Poutine, effectuera demain une visite officielle en Algérie. Il était initialement attendu, aujourd'hui pour une visite d'Etat de deux jours. Aucune indication n'a été donnée sur les raisons de cette modification de programme. On peut penser que la Russie, allié traditionnel et central de l'Algérie depuis 1962, au plan de la coopération militaire et des prises de position vis-à-vis des grands enjeux politiques planétaires, consolidera ses positions avec Alger, relancera les commissions mixtes de travail, (les négociateurs russes quitteront Alger avec au moins quatorze contrats signés), et assainira son dossier concernant la dette algérienne, mais à l'évidence, c'est surtout son placement stratégique qui reste le plus significatif dans la reconfiguration des grandes puissances au Maghreb. Une visite qui va certainement relancer les travaux de la commission mixte algéro-russe mise sur rails par le Pacte stratégique Alger-Moscou signé en avril 2001 entre les présidents Bouteflika et Vladimir Poutine. Moscou, qui dit «attacher une très grande importance» à cette escale de Poutine, a préparé avec rigueur et minutie cette visite d'Etat. Un terrain à reconquérir Dans l'actuelle redynamisation de sa coopération avec l'Algérie, elle mise sans doute énormément sur les relations privilégiées entre Bouteflika et Poutine, dont la rencontre constituera autant une confirmation de leur rapprochement qu'une option politique pour l'avenir. Avec un ordre du jour qui s'articulera autour de la dette, l'armement, l'accroissement des échanges économiques et la mise en pratique des accords gaziers contractés récemment, la rencontre Bouteflika-Poutine a toutes les chances de voir se renforcer les positions russes dans le Maghreb, devenu tout à coup un enjeu sécuritaire majeur. Préparée avec rigueur et sérieux par l'ambassadeur de Russie en Algérie, Vladimir Titorenko, en fin 2005, puis par l'envoyé spécial de Poutine, Igor Ivanov, le 21 janvier, la visite de Vladimir Poutine revêt pour les observateurs politiques un caractère particulier, en ce sens qu'il s'agira pour Moscou d'une véritable «reconquista». Allié traditionnel et stratégique de l'Algérie, comme les Etats-Unis l'ont été pendant longtemps pour le Maroc, la Russie a perdu pied au Maghreb à partir de 1989. Evaluée à près de 20% de la dette globale, la dette algérienne envers la Russie constituera l'essentiel des négociations. Entre l'investissement indirect et la récupération de son argent, généré surtout par la vente des armes, Moscou cherchera le compromis, mais surtout la consolidation de son rang de premier fournisseur en matière d'armement et de partenariat politique majeur. La visite d'une délégation du Hamas palestinien à Moscou, il y a quelques jours, sera un autre motif des pourparlers, au plan des échanges de vues sur les questions stratégiques. Le nucléaire iranien et la déstabilisation par les enjeux politiques et la guerre que mènent les Etats-Unis, dans toute la région du Moyen-Orient, seront autant de questions qui seront abordées. Les questions liées à l'armement seront aussi un axe majeur des pourparlers. Equipée à 80% par l'armement russe, l'armée algérienne a encore besoin d'une coopération militaire, notamment en matière de maintenance des équipements et de formation d'officiers (pilotes de Mig, parachutistes, etc.). Cette exigence est d'autant plus réelle que, en fait, l'armement russe, présenté par l'Occident comme vieilli et largement suranné, n'a jamais cessé d'être transformé par les experts et techniciens russes, de sorte qu'il représente, en réalité un armement qui fait concurrence à ce qui existe de meilleur sur le marché du commerce de l'armement militaire. D'un autre côté, les élites formées dans les écoles militaires soviétiques occupent aujourd'hui de hautes fonctions dans la chaîne de commandement de l'ANP et entretiennent les meilleures relations qui soient avec leurs homologues russes. Le rapprochement se fera, donc, sur la base d'une longue tradition d'amitié perturbée à partir de la Perestroïka russe et de l'entrée par l'Algérie dans une décennie de graves turbulences politiques (1989-1999). D'autant plus que Moscou veut, cette fois-ci, non pas récupérer son argent, mais investir en Algérie et pénétrer en force le marché local. Un partenaire stratégique Allié traditionnel de l'Algérie depuis l'indépendance, Moscou cherche aussi à s'insinuer dans le Maghreb via l'Algérie. Les participations de l'Algérie aux exercices conjoints menés avec les Forces multinationales de l'Otan ont été mal perçues d'abord par la Russie qui a estimé que la désintégration du pacte de Varsovie devait nécessairement rendre l'Otan dépassé. Par la suite, les exigences économiques, qui sont devenues l'axe central de la politique russe, ont pris le pas sur les allergies stratégiques ou idéologiques, de telle sorte que lorsque Vladimir Poutine foulera le sol algérien, il sera accompagné par une équipe importante dont la mission principale sera de faire en sorte que les échanges commerciaux soient plus denses et plus importants, pour s'inscrire pour la première fois, en dehors de la vente de l'armement militaire. Selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères algérien, diffusé hier, plusieurs sociétés russes ont investi dans le domaine des hydrocarbures en Algérie. La compagnie Stroytraw Gaz a ainsi participé, en 2005, à la réalisation de l'oléoduc qui relie Haoud El Hamra (Hassi R'mel) à Arzew. Cette même société a réalisé le gazoduc reliant Sougueur à la centrale électrique Hadjret Ennous, dans la wilaya de Tipasa. Une autre société russe, Rosneft, a entrepris des travaux de prospection dans le Sud algérien. Le communiqué précise, en outre, que lors de la visite de M.Poutine à Alger, un mémorandum d'entente sera signé entre Sonatrach et les sociétés russes Gazprom, Lokoil et Souyouzgaznef. Il est également prévu la signature d'un accord de coopération entre les Chambres de commerce et d'industrie algérienne et russe, a ajouté le porte-parole. Dans le domaine de l'industrie pharmaceutique, des projets de partenariat sont en cours d'examen entre Saidal et la société russe Abolmed. Le total des échanges commerciaux entre l'Algérie et la Russie a dépassé 364 millions de dollars US en 2005, dont 361,75 millions de dollars de produits russes importés par l'Algérie. Ce chiffre global est en progression de 9,5% par rapport à 2004, année où les échanges entre les deux-pays ont été de 332,68 millions de dollars. Poutine avait exprimé en novembre dernier, dans un message au président Bouteflika, la disposition de son pays à poursuivre la consolidation des relations d'amitié traditionnelle avec l'Algérie.Le chef de l'Etat russe avait énuméré, dans son message, toute une palette de secteurs dans lesquels Alger et Moscou pourraient promouvoir leur coopération dans un avenir proche. Il avait cité notamment les domaines du pétrole, du gaz, de la métallurgie, du bâtiment industriel et civil, des infrastructures des transports et de la formation des cadres. Poutine s'était également dit convaincu que le partenariat algéro-russe, en plein essor, constitue un facteur important pour la stabilité de la région du Maghreb, rappelant que son pays partageait avec l'Algérie des positions communes concernant la lutte contre les nouveaux défis et les menaces, notamment le terrorisme international. Washington, qui suivra le cheminement de ce nouveau rapprochement avec intérêt, a bien en vue l'idée de revoir sa stratégie de pénétration du Maghreb et de faire en sorte que l'influence russe dans la région ne dépasse pas le seuil des échanges commerciaux de petite portée.