Les Etats-Unis ont annoncé hier «le lancement d'une campagne de pression économique et politique» contre le pouvoir syrien, sanctionnant 39 personnes et entités dont le président Bachar al-Assad et sa femme dans le cadre de la nouvelle «loi César». «Nous prévoyons beaucoup plus de sanctions et ne nous arrêterons pas tant qu'Assad et son régime n'auront pas mis fin à leur guerre inutile et brutale contre le peuple syrien», a prévenu le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, dans un communiqué. Ces nouvelles sanctions américaines entrent en vigueur, cette semaine, alors que Damas cherche à lancer la reconstruction du pays. La loi César, qui encadre ces sanctions, tente de réaliser les objectifs espérés par Washington, à travers un impact sur l'économie, la population et les alliés de la Syrie. C'est ainsi que le régime syrien mais aussi des hommes d'affaires proches du pouvoir sont déjà la cible de sanctions économiques américaines et européennes. La loi César prévoit des mesures contre des entités étrangères collaborant avec le gouvernement, notamment celles russes ou iraniennes actives en Syrie. «Les Etats-Unis doivent encore clarifier où, et jusqu'où, les sanctions seront appliquées», souligne Edward Dehnert, analyste chez The Economist Intelligence Unit. «Mais on peut dire que l'immobilier, la construction, l'énergie et les infrastructures seront particulièrement affectés.» Promulguée en décembre par le président américain Donald Trump, cette loi prévoit aussi des «mesures spéciales» contre la Banque centrale de Syrie. Pour M. Dehnert, la loi César est une nouvelle tentative de Washington pour «imposer une solution politique (...) et évincer Bachar al-Assad». Mais «la position de M. Assad est sécurisée», estime-t-il, alors que Damas a consolidé son emprise sur plus de 70% du pays. Les sanctions pourraient «limiter les profits» à tirer, pour le régime et ses partenaires, «des opportunités économiques apportées par le processus de reconstruction», souligne-t-il. Elles ont été conçues «pour maintenir le régime au rang de paria. La menace d'une action punitive américaine sera suffisante pour effrayer la majorité des investissements». Pour lever les sanctions, la loi exige notamment que toute personne soupçonnée de «crime de guerre» ou impliquée dans des bombardements de civils soit jugée, et que les «prisonniers politiques» soient libérés. Damas a fustigé la loi César, estimant qu'elle allait aggraver les difficultés économiques de la population. Les craintes suscitées avant même l'adoption des sanctions ont contribué à un effondrement historique de la monnaie nationale, soulignent des experts. Et les sanctions pourraient compliquer les importations, notamment de carburant. «Malheureusement, les Syriens sont ceux qui vont souffrir le plus», pronostique M.Dehnert. Les régions sous contrôle gouvernemental connaissent depuis deux ans une pénurie de carburant et 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté selon l'ONU. Les prix des produits alimentaires ont connu une inflation de 133% depuis mai 2019. «Nous avons beaucoup souffert des sanctions sans cesse renouvelées», déplore Hiba Chaabane, étudiante de 28 ans à Damas, pour qui la loi César est «un autre visage de la guerre». «Ces sanctions font monter les prix des produits alimentaires», déplore-t-elle. De son côté, Hassane Toutanji, directeur d'une clinique à Damas, craint «des restrictions sur l'importation des équipements», et de matières premières «nécessaires à la fabrication des médicaments». La loi vise à museler l'influence de l'Iran et de la Russie, deux puissances déjà visées par des sanctions américaines mais qui ont sécurisé des investissements en Syrie dans le cadre de la reconstruction. Mais elle pourrait au contraire leur donner un coup de pouce: en effrayant certains investisseurs traditionnels, «les Etats-Unis réduisent la compétitivité» dans une course où Moscou et Téhéran «ont déjà un avantage significatif», estime M. Dehnert. Les sanctions risquent de saper l'enthousiasme des Emirats arabes unis, pays du Golfe qui a rétabli ses liens diplomatiques avec Damas. Au Liban voisin, les sanctions américaines inquiètent. Longtemps source de devises étrangères pour des hommes d'affaires syriens, le pays est aujourd'hui en faillite. «La loi César (...) vise à affamer le Liban comme elle vise à affamer la Syrie», a clamé mardi Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite Hezbollah, militairement engagé en Syrie au côté du régime. Au-delà du cas du Hezbollah, les deux pays sont étroitement liés sur le plan économique, avec notamment des exportations agricoles du Liban transitant par la Syrie et des entreprises de BTP ou encore de transport lorgnant le marché syrien. Une commission gouvernementale libanaise a été créée pour examiner les possibles répercussions de la loi César.