Le combat que les deux gladiateurs se livrent se déroule au fil des jours. La visite de trois jours effectuée à Alger, par le président du Parlement européen, Josep Borell, a défini les limites d'un débat euro-maghrébin. M.Borel n'a fait que constater les défaillances qui caractérisent les rapports entre les deux régions. Lors de ce déplacement qui a pris fin mercredi dernier, l'hôte de l'Algérie a relevé les problèmes d'immigration clandestine qu'il a regrettés, il a parlé des restrictions imposées par les Etats européens dans la délivrance des visas et a reconnu que l'Europe a toujours regardé vers l'Est oubliant ses voisins du Sud. Comme remède à ces relations marquées du sceau de la défaillance, il a proposé «une coopération plus large». Il s'est prononcé en faveur de l'augmentation du budget alloué au programme d'aide Meda qui s'élève actuellement à trois milliards d'euros, afin, a-t-il dit, de «sauvegarder la crédibilité de l'UE auprès de nos partenaires du Sud». Aucun contrat ou une autre décision d'envergure n'a été annoncé sinon son souhait de recevoir bientôt, à Bruxelles ou Strasbourg, une délégation du Parlement algérien. «Je viens d'inviter les présidents des deux chambres ainsi que les chefs des groupes politiques pour avoir des rencontres avec les parlementaires européens», a-t-il dit. La raison de cette «défaillance» est que l'Algérie en particulier, et, d'une manière générale, l'Afrique, se trouvent actuellement au centre d'une lutte féroce entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Le combat que les deux gladiateurs se livrent pour maîtriser cette partie de la planète s'est déroulé au fil des jours. Au processus de Barcelone, les Etats-Unis ont opposé d'abord l'Initiative Eizenstat (une initiative qui porte le nom de son initiateur le sous-secrétaire à l'Economie sous le président Clinton) puis, le projet du Grand Moyen-Orient (initiative du président Bush connue sous l'appellation de GMO). A la coopération euro-méditerranéenne, ils rétorquent par des actions ciblées dans le continent africain. A la nouvelle politique européenne de proximité, ils brandissent le Mepi (l'Initiative de partenariat avec le Moyen-Orient ). Si l'appellation diffère, l'arène est la même. Les Américains parlent de la bande du Sahel et les Européens conversent sur la rive sud de la Méditerranée. Dans les deux cas, il s'agit de l'Afrique du Nord, une région qui concerne directement les préoccupations géopolitiques et géostratégiques des deux pôles de puissance. Le point de mire de ces préoccupations est le problème pétrolier et gazier. A Alger, M.Borell a souligné que l'avenir de l'Europe «dépendra de ses relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et avec le monde musulman», mettant en exergue le «rôle déterminant» de l'Algérie au niveau du bassin méditerranéen. Simultanément à cette affirmation, un chercheur américain, Bert Chiffer, spécialisé dans les affaires organiques au sein d'une fondation pour le patrimoine, basée à Washington, souligne lui aussi que «l'Afrique représente une importance stratégique pour les Etats-Unis puisqu'elle constitue la source principale d'énergie pour la planète». Il a indiqué que «les Etats-Unis jetteront tout leur poids pour s'imposer dans cette partie du globe car, dit-il, leurs importations en énergie venant d'Afrique passeront de 18 à 25% dans les quelques années à venir». Une proportion de loin plus importante que la quote-part des Américains dans le Golfe persique. C'est dire l'importance stratégique que représente cette région pour les Américains. Les Européens agissent avec l'idée de terrain conquis. Ils évoluent sur leurs anciennes colonies. Néanmoins, ils continuent à perdre du terrain face au pragmatisme américain. Ces derniers inscrivent «leur conquête» dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ils préconisent une réaction transnationale à une menace transnationale. «Nous avons pris une nouvelle initiative afin d'inclure une zone géographique plus vaste comprenant le Maghreb», déclare à Alger le 20 février dernier, Henry Crumpton, ambassadeur itinérant des Etats-Unis chargé du contre-terrorisme. Selon ce responsable, les Américains élargissent leurs efforts au-delà des capacités sécuritaires et militaires en matière de contre-terrorisme. «Vu que cette menace ressemble à une insurrection, il nous faut élaborer une stratégie de contre-insurrection qui comprenne tous les instruments de la gouvernance: attaquer l'ennemi, le priver de refuges et satisfaire les besoins socio-économiques et politiques de ces pays-refuges», a-t-il expliqué lors d'une conférence organisée par les Etats-Unis, par l'Union africaine et par le Centre algérien des études stratégiques de l'Afrique. Plus précis, M.Crumpton révèle la stratégie très prospective de son pays quand il déclare: «Durant les prochaines décennies, ce conflit, mené dans une société mondiale en évolution rapide, prendra des tournures que personne ne peut prévoir, malgré tous les efforts de nos services de renseignements. Il nous faut donc nous préparer à l'incertitude (...)». A en juger par ces propos, il faut croire que les Américains ne viennent pas pour une partie de golf dans cette partie du monde...