Renaissance. Le 5 juillet 1962, les Algériens étaient mentalement prêts à recevoir l'annonce de l'indépendance. Depuis le 19 mars, date du cessez-le-feu, ils savaient que le référendum pour l'autodétermination n'était plus qu'une formalité. Un scrutin où il fallait répondre par «oui» ou par «non» à la question «voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant?». À l'époque, la population en Algérie comptait 9 millions «d'indigènes» et un million de «pieds-noirs». Politiquement nous étions censés être tous des Algériens. Le nombre d'électeurs inscrits était de 6,5 millions. On vous laisse déduire la proportion des deux populations concernées par ce vote. De plus et depuis le 19 mars, donc depuis plus de 3 mois, les ports et aéroports, d'Alger, Oran et Annaba (Bône à l'époque), ne désemplissaient pas des pieds-noirs et des harkis en partance pour la France. L'OAS (milice armée des pieds- noirs extrémistes) avait créé la terreur au sein de cette catégorie de la population avec son fameux slogan «la valise ou le cercueil». Voulant leur faire croire que les Algériens une fois indépendants allaient leur faire la peau. En réalité, l'objectif visé était de vider l'Algérie de tous les cadres de maîtrise qui étaient exclusivement des Européens, dans l'espoir de paralyser le pays. À cela et concomitamment, le diaboliquement plan de «la terre brûlée» était déjà mis en oeuvre depuis le 19 mars (plasticages, incendies d'édifices comme la bibliothèque universitaire, assassinats, etc). Donc le 1er juillet 1962, date du scrutin, il n'y avait pratiquement que les «indigènes» dans les bureaux de vote. Les résultats du vote (99,72% de «Oui» et 0,28% de «Non») ont été, on ne peut plus, éloquents. Le président français, Charles de Gaulle, déclara, le mardi 3 juillet 1962, reconnaître officiellement l'indépendance de l'Algérie. Même sans l'effet de surprise, même si l'on s'y attendait depuis le 19 mars, il restait malgré tout encore un doute qui fut balayé ce jour-là. C'est difficile de croire être libres après 132 ans de colonisation. Ce n'est pas facile de croire que nous étions devenus, ce jour-là, des citoyens algériens alors que durant 132 années nous n'avions aucune citoyenneté dans notre propre pays. Le régime colonial avait inventé pour nous le «Code de l'indigénat». C'est ce code qui inspira plus tard l'apartheid en Afrique du Sud. Bref, le 3 juillet et les jours suivants, c'était le rêve les yeux ouverts. Un bonheur indescriptible. Une euphorie générale s'empara de tous les Algériens. Les grands comme les petits. Les hommes comme les femmes. Tout le monde était dans la rue. Ce n'était pas des défilés organisés, non, les gens couraient dans tous les sens en criant «vive l'Algérie», «vive le FLN», «vive l'ALN». Voitures, bus, camions, tout ce qui roulait était envahi de «passagers». On n'avait pas besoin de se connaître. Nous étions tous «frères» et «soeurs». C'était la liesse. On dansait au milieu de la rue, des chants patriotiques (min djibalina...) fusaient de toutes parts. Il n'y avait plus ni de jour ni de nuit. C'était la joie non-stop durant plusieurs jours. La joie dans l'insouciance du lendemain. Les caisses de l'Etat étaient vides. Le fonctionnement du pays (l'eau, l'électricité, le gaz, etc.) était à l'arrêt. Nous avons vu plus haut pourquoi. En réalité notre souci premier était l'indépendance. Pour le reste et comme nous n'avions rien, ne possédant rien et que nous survivions au jour le jour, tous les manques de la vie quotidienne tels qu'on les conçoit aujourd'hui, nous importaient peu. On criait, on dansait, on courait libres comme le vent. Le plus important était d'enterrer au plus vite 132 ans de colonisation. Comment garder son calme avec une telle victoire? La fête a duré au moins trois jours. Plus pour certains. Des journées inoubliables. Merveilleux!