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«J'ai un cancer»
Tout en rejetant les accusations retenues contre lui, Ouyahia révèle au juge
Publié dans L'Expression le 07 - 07 - 2020

Le procès du patron du groupe TMC, Mahieddine Tahkout, reporté la semaine dernière, après une journée de guerre de procédures entre le magistrat et les avocats, s'est finalement ouvert, hier, auprès du tribunal correctionnel de Sidi M'hamed.
Les auditions à la barre qui n'ont, cependant, commencé que dans l'après-midi, après de multiples levées de séances en raison des demandes de la défense, ont été porteuses d'importantes révélations à l'exemple de celle d'Ahmed Ouyahia, l'ex-Premier ministre, de sa maladie et son affirmation de ne pouvoir évoquer les raisons des nombreux mouvements enregistrés dans son compte bancaire pour une «raison d'Etat»!
À l'ouverture du procès, les 19 prévenus en détention d'un total de 57 mis en cause dans ce dossier, entrent dans la salle d'audience. Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal ou encore Youcef Yousfi et Amar Ghoul, menottes aux mains, se suivent pour prendre place dans le box tout comme Mahieddine Tahkout, ses deux frères, son fils et les autres ex-walis et cadres de l'industrie, de l'Onou et de l'Etusa. La salle s'avère exiguë en présence des détenus, témoins, avocats et les médias. Cela n'empêche pas l'entame du procès avec la présentation par la défense de ses demandes dans la forme. Des avocats ont ainsi fait remarquer au juge que leur client est jugé pour les mêmes faits contrairement à la loi, d'autres ont évoqué, de nouveau, l'inconstitutionnalité du procès en l'absence d'une haute cour pour juger les hautes personnalités. Enfin, les robes noires ont aussi rejeté la constitution du ministère de l'Industrie et du Trésor public comme parties civiles. À toutes ces demandes, le procureur général a opposé un rejet, dans sa réponse. Il a, entre autres, rappelé qu'en l'absence de textes d'application pour la création de la haute cour, les privilégiés de juridiction sont justiciables dans le cadre des droits communs. Après délibération, le juge a décidé d'accepter les demandes dans la forme et de les joindre au dossier.
Les auditions qui devaient commencer juste après la pause-déjeuner de près de deux heures, vont être retardées encore une fois, d'au moins une heure. Car, à la reprise, les avocats soulèvent le problème de l'exiguïté de la salle, ce qui met tous les présents «en infraction» par rapport aux décisions prises par le gouvernement du respect de la distanciation en cette période de crise sanitaire du Covid-19. Me Sidhoum va même affirmer qu' «au moins sept avocats sont décédés par le coronavirus ces dernières 48 heures et nous sommes plus de 200 personnes dans cette petite salle. C'est une question de santé et de Sécurité nationale». La défense va demander le report d'une journée et le transfert du procès vers le tribunal de Dar El Beïda où les salles d'audience sont beaucoup plus vastes. Leur requête a été transmise à qui de droit, a affirmé le magistrat après son retour annonçant la poursuite du procès jusqu'à ce qu'une décision soit prise.
Le juge appelle alors Ahmed Ouyahia à la barre. Cheveux et moustaches blancs, l'ex-Premier ministre a énormément maigri mais reste identique à lui-même: confiant, le verbe facile et l'air solennel. Le magistrat lui rappelle les nombreuses charges retenues contre lui dont l'abus de fonction, le conflit d'intérêts et la dilapidation. Calme et concis, Ahmed Ouyahia va répéter ce qu'il avait déclaré lors de son audition la semaine dernière, mais pas seulement. Il commence par réfuter toutes les charges expliquant au juge, encore une fois, qu'il ne peut être jugé et condamné à plusieurs reprises pour les mêmes faits. Il rappellera alors le procès des concessionnaires automobiles, tenu en décembre dernier, celui de Oulmi et de Haddad où les mêmes «actes de gestion» lui ont été reprochés.
Personne ne m'a corrompu
Le magistrat l'arrête et lui demande d'expliquer deux décisions qu'il avait prises, à savoir la liste des 5+5 des concessionnaires automobiles retenus pour le montage et le prolongement de délais qui leur a été accordé par la suite. Tenant à se défendre de manière très méthodique, l'ex-Premier ministre va poursuivre son intervention juste là où il s'était arrêté en disant «il y a un deuxième point que je voudrai soulever. Je suis poursuivi pour corruption, mais dans le dossier, il n'y a pas de faits qui démontrent ce chef d'inculpation. Qui m'a corrompu?» s'interroge-t-il avant de répondre à la question du magistrat: «Le ministre de l'Industrie m'avait envoyé une liste de 89 opérateurs et j'ai établi une liste de 5+5 pour le montage de véhicules lourds et légers. Mon choix s'est évidemment porté sur les concessionnaires qui étaient en activité à ce moment-là. Il y a eu ensuite des réajustements avec le ministre de l'Industrie et on est arrivé à une liste de 40 opérateurs, tous types de montage confondus.» Et de lancer par la suite «je n'ai rien à voir avec le dossier Tahkout. Il est passé au Conseil national des investissements avant que je n'arrive. Quant à la prolongation des délais qui a été décidée, c'était uniquement pour Maâzouz et Tahkout n'en avait pas besoin».
Ahmed Ouyahia semble avoir pris le soin de bien étudier l'arrêt de renvoi, pour ce procès. Il tient d'ailleurs à continuer à éclairer la justice en disant «on me reproche d'avoir raccordé le secrétariat du CNI à la chefferie du gouvernement. Il faut savoir qu'avant 2014, il y avait le ministère de l'Industrie, de la PME et de la Promotion de l'investissement. Par la suite, il y a eu changement d'appellation et le ministère est devenu celui de l'Industrie et des Mines. Tous les ministères se sont plaints pour le traitement des dossiers d'investissements et c'est en commun accord que nous avons décidé de rattacher le secrétariat du CNI au Premier ministère.
Le secrétariat devait prendre attache avec l'Andi pour programmer les dossiers à étudier en CNI où le représentant du chef de l'Etat et 11 ministres étaient présents. Sans oublier la médiatisation continue des réunions. Si réellement j'avais accaparé le CNI, vous pensez que personne ne m'aurait dénoncé?». Décidé, cette fois à lever toutes les équivoques, il revient sur les cas Rebrab et Achaïbou en disant «pour Rebrab Omar, je n'étais pas en poste alors que pour le cas Achaïbou, il a bien reconnu que c'est le ministre en fuite (Abdessalem Bouchouareb, Ndlr) qui lui a refusé sa demande». Le magistrat l'interrompt et demande: «Ne pensez-vous pas que votre instruction qui annulait un décret portait atteinte au parallélisme des formes?». Pour répondre, Ahmed Ouyahia va évoquer une décision récente «en février 2020, le gouvernement a recouru à une instruction et je considère que c'est très juste et très adroit comme décision car la modification d'un décret demande au moins 6 mois».
Les 30 milliards et le secret d'Etat
En prenant la parole, le procureur général n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il dira à l'ex-Premier ministre qu'il n'y avait pas de critères clairs dans le choix de la liste des 5+5 et affirmera que son instruction a fait perdre quelque 900 milliards de cts au Trésor public. Ouyahia refuse de se laisser faire «les avantages fiscaux, ce n'est pas Ouyahia et Sellal mais ce sont les lois de la République. En plus, il s'agit là d'une politique. Vous jugez une politique donc et non pas une affaire de dilapidation! En quoi la TVA est une perte? Ce n'est pas le citoyen qui a payé. Non, c'est une politique qui aurait permis à l'Algérie, aujourd'hui, d'exporter, car les concessionnaires choisis avaient tous de grands partenaires étrangers et des engagements pour le marché africain, européen et la pièce détachée. Et on dit que nous avons détruit le pays et que ce n'était qu'un gonflement de pneus!». Face à la riposte d'Ahmed Ouyahia, le procureur dit: «Et pour Suzuki? Dans son audition, Seif el Islam Louh a bien dit qu'il ne figurait pas dans la liste des 40, parce qu'il a refusé de donner ‘'el chekara''». Ouyahia s'énerve «ramenez-le pour une confrontation. C'est du n'importe quoi!». Le magistrat demande s'il est témoin dans l'affaire mais la défense lui apprend que le neveu de l'ex-ministre de la Justice a bénéficié de l'extinction des poursuites dans ce dossier.
Le représentant du ministère public ne s'arrête pas là. Il va lire les différents mouvements dans le compte d'Ahmed Ouyahia où la somme de 30 milliards de cts y est déposée avant de lui demander de justifier ces mouvements.
L'ex-Premier ministre va faire, pour la première fois, cette révélation: «J'ai déjà dit que ces mouvements n'ont rien à voir avec mon activité gouvernementale. Et si je n'ai rien dit auparavant, c'est à cause de la réputation de mon pays. Je n'ai pas fait de fausses déclarations. Certes, je n'ai pas fait de déclaration de mes biens en quittant le gouvernement parce que j'étais malade. J'avais un cancer.
Sellal fond en larmes
Je devais suivre mes séances de radiothérapie en plus des convocations de la justice. D'ailleurs, j'ai été arrêté avant de terminer la dernière séance. Je ne peux rien dire, mais tout est consigné dans un PV dressé auprès du parquet général.» On n'en saura pas plus si ce n'est que les 30 milliards de cts d'Ahmed Ouyahia relèvent du secret d'Etat!
Abdelmalek Sellal est appelé à la barre. L'homme est très fatigué. Il explique comme il peut qu'il n'a eu à présider que deux fois le CNI où les dossiers Tahkout et Oulmi ont été traités soutenant que lors d'une telle réunion, il n'est pas question de cahier des charges ou de vérification des pièces composant le dossier des concessionnaires «lorsque le dossier est présenté devant les membres du CNI, il
y a deux attendus qui précisent qu'il a obtenu l'accord du ministère de l'Industrie et celui de l'Andi. Ce n'est pas notre rôle de vérifier le cahier des charges». Abdelmalek Sellal à qui on reproche d'avoir accordé une décision à Tahkout alors qu'il ne répondait pas au cahier des charges, a rappelé qu'il a envoyé une commission d'enquête pour voir si le patron du groupe TMC avait respecté ses engagements. «La commission a toujours déclaré que tout était parfait ne soulevant que l'absence du partenaire étranger. Ce que nous avons exigé par la suite», a affirmé l'ex-Premier ministre ajoutant, en réponse à une question du procureur sur le non-respect du taux d'intégration «moi j'ai fait mon devoir quand j'étais en poste en inspectant. Après je n'étais plus là». Abdelmalek Sellal va mettre en cause l'ex-ministre de l'Industrie, Abdessalem Bouchouareb, affirmant que c'est ce dernier qui avait pris des décisions contraires à la loi en la changeant sur simple instruction. Avant de reprendre sa place, Sellal ne peut s'empêcher de dire, ému jusqu'aux larmes «j'ai 72 ans, j'ai toujours été honnête et je me retrouve devant la justice aujourd'hui. Je ne sais pas comment je tiens encore». Les auditions des privilégiés de juridiction vont se poursuivre et Youcef Yousfi, a été le prochain prévenu appelé à la barre. Le procès reprendra, aujourd'hui, avec l'interrogatoire très attendu de Mahieddine Tahkout.


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