Selon notre interlocuteur, «le président sait très bien que des choses restent à faire, des mesures à prendre». Chef historique du Groupe islamique armé et premier émir de cette organisation, Abdelhak Layada a été libéré avant-hier dimanche par les autorités dans le cadre de l'application des lois sur la réconciliation nationale, vaste projet politico-sécuritaire destiné à mettre un terme à la violence armée. Le même jour, deux heures après sa libération, il donne le premier entretien à L'Expression et livre, de façon sommaire, ses impressions sur la paix, l'islamisme et la main tendue du Président. Gros plan sur un homme qui fait l'actualité. L'Expression: N'êtes-vous pas sujet à des contraintes pour livrer vos premières observations? Abdelhak Layada: J'ai été libéré aujourd'hui dans le cadre de la réconciliation nationale. On ne m'a signifié aucune interdiction. Je recouvre donc la plénitude de mes droits, et aussi de mes devoirs. Nous sommes aujourd'hui mûrs et responsables pour savoir où mettre les pieds et où ne pas les mettre. On constate que les textes de loi portant réconciliation nationale concernent surtout ceux qui ont pris les armes parmi les islamistes, alors que les chefs politiques en sont exclus. Qu'en pensez-vous? Oui, évidemment. Ceux qui ont élaboré ces textes ont voulu être pratiques et remédier à la crise par des procédés directs, terre à terre. Bien entendu, cela a son côté positif comme la libération de détenus non impliqués dans des délits graves, l'aide aux familles sinistrées, etc., mais cela reste une solution incomplète, à perfectionner, un point d'appui qu'il faut conforter par d'autres mesures. A l'origine, la crise avait été politique, et il serait dangereux et vain à la fois d'ignorer le côté politique de la crise. Ceci dit, il faut ajouter que, politiquement, beaucoup d'hommes peuvent contribuer à mettre un terme définitif à la crise qui agite le pays depuis plus d'une décennie. Un homme comme Ali Benhadj peut énormément aider à apaiser les choses. Il ne faut pas nous faire monter sur un ring, nous lier les poings et exiger de nous de gagner notre match de boxe. Quand on a les coudées franches, on peut agir avec plus d'efficacité et contribuer avec un maximum de réussite à l'apaisement de la crise. Le projet du président a un seul objectif : mettre un terme à la crise qui secoue le pays... Justement, les textes de loi portant réconciliation nationale sont-ils la solution de cette crise? Je disais justement que l'objectif de la réconciliation est de pacifier les Algériens. Les textes de loi promulgués récemment en vertu desquels des détenus commencent à être libérés, constituent une grande partie de la solution, mais pas toute la solution. Le président sait très bien que des choses restent à faire, des mesures à prendre. C'est pour cette raison qu'il a laissé les textes de loi sur la réconciliation «ouverts», en précisant dans la postface qu'il peut, à tout moment, et en vertu des prérogatives qui lui sont dévolues par la Constitution et des pouvoirs que lui a conférés le plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, prendre encore d'autres mesures qu'il jugera nécessaires. J'estime que le président de la République est allé le plus loin possible dans le cadre des équilibres du moment. Cela n'est pas rien, cela a été pénible, je le sais. Et c'est pour cette raison que je dis aujourd'hui qu'il faut être patient, mûr et responsable, qu'il faut l'aider et l'appuyer afin que d'autres mesures viennent fortifier, conforter et parfaire la cohésion nationale. Que reste-t-il encore à faire? Aux mesures pratiques déjà mises en marche, il faut d'urgence ouvrir le champ d'expression politique dans le cadre du respect des lois et de la Constitution. L'exclusion politique ne peut mener qu'à plus de tension et de sentiment d'injustice. Quand je parle d'exclusion, je ne parle pas uniquement des islamistes, mais aussi des nationalistes, de la trempe de Abdelhamid Mehri, par exemple, qui peuvent apporter beaucoup au pays et dont le parcours et la droiture les situent en position centrale et privilégiée pour agir dans le bons sens des choses. «Nahnou douât lâ koudât» (nous sommes des prêcheurs de la bonne parole, non des juges, ndlr), et nous allons tout faire pour pousser vers plus de paix et de cohésion, même si cela peut nous coûter la mort, même si cela nous contraint de travailler avec des parties dont nous ne partageons pas les mêmes points de vue... Même si cela vous coûte votre élimination du terrain politique? Si la stabilité de l'Algérie et sa paix passent par notre retrait de toute activité politique, je ne vois aucun inconvénient à cela. A la condition, que tous ceux qui ont contribué à la crise, attisé les feux de la haine et alimenté la discorde le soient tout autant. Pour notre part, je sais que nous pouvons aider à pousser les choses vers plus de sérénité et une meilleure compréhension. Après treize ans de détention, on remarque que vous êtes en meilleure forme physique, dans des dispositions morales et intellectuelles favorables. Est-ce dû à votre longue période de détention faite de lectures? Et vous êtes-vous fait une idée sur l'évolution de la situation algérienne depuis 1993, date de votre mise en détention? Pour ma bonne forme physique, ne vous faites pas une idée sur les seules apparences. Bien sûr, je suis tout agité de retrouver ma famille, de me retrouver à l'air libre, mais je souffre de plusieurs maladies, dont un mal terrible qui me cloue le dos depuis des années. Quant à ce que je vois aujourd'hui, je vous ai donné les grandes lignes de ce que je pense, mes première impressions, et je sais qu'il me faut du temps pour comprendre l'évolution des choses depuis que j'ai été mis en détention. Je suis de nouveau libre depuis deux ou trois heures seulement, et il va de soi qu'un temps d'observation, d'écoute et de discussion me sera nécessaire pour arriver à saisir toutes les nuances de la situation actuelle.