Sa rencontre à la sortie de la prison avec Ali Benhadj a été hautement symbolique. C'est à 16h 40 qu'apparut, hier, Abdelhak Layada au seuil de la porte de Serkadji. Grand gaillard, apparemment bien portant, des lunettes carrées sur les yeux et habillé d'un kamis beige, l'homme n'a rien à voir avec l'émir au teint pâle et au visage émacié représenté sur une ancienne photo. Treize ans après son emprisonnement à Serkadji, Layada bénéficie d'une libération dans le cadre de la loi portant réconciliation nationale, vaste projet politique initié par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, pour mettre un terme à la violence armée. Le premier geste fait par Layada a été de se prosterner, lui et ses deux fils Adlène et Soheib, dans un rituel religieux appelé «soudjoud ech-choukr». Aussitôt après, la foule, présente dès les premières heures du matin pour attendre sa libération, l'entoure de toutes parts aux cris de «Allah Akbar, Allah Akbar». Ali Benhadj, venu lui aussi l'attendre, lui fait de longues accolades. Et la foule, pour un instant, reprit un credo qui ranima les flammes de 1991, «Allah Akbar, alayha nahya, alayha namout, wa fi sabiliha noudjahid, wa alayha nalka Allah». Très entouré par sa famille, ses trois frères et ses deux fils, mais aussi par une foule d'anciens repentis, des élargis et des sympathisants, Abdelhak Layada se contente de saluer et de lancer des «Salam Alaykoum» à gauche et à droite. «Laissez la presse travailler, laissez-les prendre des photos», demande-t-il au cordon de sécurité qui se forme autour de lui empêchant les photographes de presse d'accéder jusqu'à lui. Hormis les amabilités, il dira avant de monter dans la voiture avec Ali Benhadj: «Que la vérité éclate et que le mensonge tombe». Sa phrase lourde de sens est aussitôt effacée par une autre symbolique: son apparition avec Ali Benhadj représente bien un chef islamiste «militaire» avec un chef islamiste «politique» et met en présence, pour la première fois, les deux hommes. Les prises de position de Layada en faveur de la paix, après avoir été un des chefs insurgés de l'islamisme, ont certainement joué en sa faveur, en plus de la volonté des autorités de rendre sa liberté au chef historique des groupes armés et de lancer une nouvelle offre de paix aux derniers irréductibles encore en armes. Dans un communiqué datant du 22 septembre 2005, c'est-à-dire en pleine campagne pour le projet de paix et de réconciliation nationale, initié par le président de la République, le chef historique du GIA, Abdelhak Layada, évoquait par le biais de son fils Adlane, les grandes lignes de la réconciliation nationale qu'il qualifiait de «choix inéluctable». «La charte pour la paix et la réconciliation nationale - que nous appuyons par notre libre choix requiert de nous, que nous tirions les leçons nécessaires de nos erreurs et de celles des autres, et que les erreurs du passé soient la clé de notre problème d'aujourd'hui (...) La solution que propose le président de la République ne peut se faire qu'en Algérie et entre les Algériens et on peut la considérer comme une plate-forme décisive pour une vie plus pacifique et une orientation vers la fin de la crise», estimait le prisonnier de Serkadji. Layada se lamentait aussi que la charte n'ait pas précisé que la réconciliation doit se faire entre telle et telle partie afin que le débat soit plus clair, plus sincère et plus juste: «Quand on parle de retour à la paix, cela implique qu'il y avait une situation de guerre, et quand il y a guerre, ce sont les belligérants qui délimitent les contours de la paix et de ses implications (...) la charte, en fait, se pose comme une thérapie sécuritaire et sociale à la crise tandis que son volet politique est occulté». Malgré toutes les observations soulevées çà et là, Layada estimait que la charte est un document qui «permet d'espérer», notamment quand il propose le dédommagement à tous ceux qui ont souffert de la tragédie nationale (...) et affirme qu'il «appuie» de ce fait «cette charte pour la paix». Layada estimait aussi qu'il y avait encore fort à faire face aux éradicateurs et à ceux qui sont hostiles à la paix et à la réconciliation: «Il faut faire échec à ceux-là et faire en sorte que le sang ne coule plus jamais». En prison, depuis pratiquement douze années (par un curieux événement, Layada a été remis par le Palais royal aux autorités algériennes le 29 septembre 1993, c'est-à-dire douze ans, jour pour jour, avant le référendum pour le projet de charte, organisé le 29 septembre 2005, Ndlr), Abdelhak Layada, avait été le premier émir du GIA, constitué à partir de la fin d'octobre 1992 à El Merdja, dans la périphérie de Baraki. Composé des groupes de la Mitidja, de Mohamed Allel et de Mansouri Miliani, le GIA avait alors consacré l'hégémonie de la jeunesse islamiste urbaine au détriment du MIA, composé des «stars» âgées de l'insurrection islamiste (Chebouti, Hocine Abderahim, Mekhloufi, etc.) . Layada, dès son accession à la tête du GIA constitué, avait établi les premiers codes de conduite, une sorte de règlement intérieur, et avait désigné les émirs locaux (novembre 1992 à janvier 1993). En mars 1993, il part pour le Maroc, où il sera «pris en charge» par le Palais royal, qui tentera durant plusieurs semaines de négocier. Le «deal» était, selon les propres aveux de Driss El Basri, en 2004, aux quotidiens espagnols El Mundo et ABC, que Layada bénéficie d'une base de repli au sud du Maroc, avec toute la logistique nécessaire, en contrepartie de quoi, il devait liquider des opposants politiques sahraouis et marocains, présents à Alger. La négociation n'a pas marché et Layada a été, en désespoir de cause, remis à l'Algérie. Agé aujourd'hui de 48 ans, Layada reste notamment doté d'une incontestable aura auprès des groupes armés pour avoir été le chef historique du GIA. Négociateur lors de la mutinerie de Serkadji en 1995 et lors du détournement de l'Airbus français en décembre 1994, les autorités lui concèdent d'avoir encore une certaine influence sur les groupes encore en armes.