Il s'appelle Abdelmadjid Broche alias Ikrima. Il a 36 ans. Il est descendu du maquis, la semaine dernière, après l'adoption des textes de loi portant sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. C'est grâce à des personnes crédibles et dignes de confiance «à ses yeux» que sa rencontre a été possible, à Skikda. Il nous a parlé du maquis, des groupes armés et des interminables luttes intestines entre les factions rivales. A le voir de près, il était vraiment difficile de croire qu'il s'agit bien de l'émir Ikrima, chef de katibet Er-Roûhb (la terreur), ex-katibat «Chouhada» (les martyrs) qui a fait tant parler de lui dans la région de Skikda, Collo, El Ancer. Mesurant à peine 1,60 m, on croit difficilement qu'il était, durant treize ans à la tête d'un groupe de plusieurs dizaines d'éléments, puis réduit à 28 membres, qui s'attaquait aux services de sécurité et rackettait les populations des dachras isolées, du côté de Tamalous, Collo, et jusqu'à El Ancer. Issu d'une famille très modeste de Tamalous, avec un niveau d'instruction tout juste moyen, il a milité dans les rangs de l'ex-FIS avant de rejoindre l'ex-AIS de Madani Mezrag en 1994, et plus tard, c'est-à-dire en 1995, le GIA où il avait réussi à préserver son «grade» d'émir, mais toujours dans le même axe, qu'il protégeait de toute incursion rivale. Contacts avec Hattab Après la mort de Djamel Zitouni, il a continué à activer au GIA. D'après lui, il était au courant du projet de création du Gspc. Il avait de bons contacts avec Hassan Hattab, «réguliers et sérieux» même s'il ne l' a jamais rencontré. Leur contact s'effectuait par lettres et par émissaire. Il a souligné que l'appellation Gspc posait un sérieux problème, au début, et avait même donné lieu à un différend entre les fondateurs. Mais il n'a pas expliqué comment il y a eu consensus à ce sujet, le Gspc étant miné par des crises successives dues aux luttes entre les chefs terroristes, autour du partage de la «ghanima». Selon Ikrima, Hattab avait tout fait pour exploiter la crise de Kabylie, tentant d'obtenir l'adhésion de la population kabyle, en disant que son groupe ne s'attaquait pas aux civils mais aux forces de sécurité. Un discours qui a fait chou blanc ! Son but, selon Broche, était de mieux s'implanter en Kabylie. En effet, et dans le contexte de la célébration du Printemps berbère, Hassan Hattab a diffusé un communiqué dans lequel il présentait le Gspc comme une organisation qui luttait contre le pouvoir, partageant les objectifs des populations kabyles. Il va sans dire que Hassan Hattab a essuyé un lamentable échec. Abdelmadjid Broche n'a pas manqué d'évoquer les affrontements sanglants qui avaient opposé le Gspc au GIA. Parmi ces affrontements, on cite l'accrochage meurtrier qui a eu lieu à Ouled Attia au mois de février 2001 entre les organisations criminelles «ennemies» de Zouabri et Hattab. Le 12 mars de la même année, et à l'issue d'une opération de ratissage effectuée par l'ANP, vingt corps de terroristes décapités (pour empêcher leur identification) et en état de décomposition avancée, ont été découverts. En parlant du sinistre Hattab, l'ex-émir Ikrima a tenu à ajouter que le chef du Gspc avait perdu beaucoup de son influence après la publication de son fameux communiqué condamnant les attentats du 11 septembre. Soupçonné de vouloir se rendre, Hattab est destitué de ses fonctions d'émir national du Gspc au profit de Nabil Sahraoui (abattu dans une embuscade à Béjaïa en 2004). Suite à ce communiqué, Hattab prend sa retraite et fait le mort, souligne l'ex-émir Ikrima qui confirme, cependant, que l'ancien n°1 du Gspc est toujours vivant. Parmi ceux qui se sont opposés à la diffusion du communiqué, le repenti de Tamalous cite un certain Abou Oumaya. Toujours au maquis, selon Ikrima, Hattab l'a contacté afin d'unir leurs rangs (particulièrement les katibat Er-Roûhb et Al-Ahoual).Tous les efforts de réunification n'ont abouti à rien de concret. Ce fut un cinglant échec, selon Ikrima. Revenant sur son propre parcours, l'ex-émir de katibat Er-Roûhb affirme avoir rejoint les maquis suite à des fetwas religieuses. Pour lui, il s'agit bien d'un djihad pour l'instauration d'une «dawla islamia». Ce ne fut que tard qu'il prit conscience de l'inutilité du combat, après «la volte-face» de certains pseudos ulémas qui n'ont pas hésité à changer de «convictions». Pour cet ex-émir, la responsabilité de la débâcle est partagée par tous : Abassi Madani, Ali Benhadj ainsi que les autres politiques qui ont, selon lui, exploité l'enthousiasme des jeunes. «Ce sont eux, les véritables responsables de la crise», a-t-il dit. Des années perdues pour rien A la question de savoir s'il a participé à des actions terroristes, il a semblé très gêné: «Je ne peux pas affirmer le contraire; ce dont je suis sûr, c'est que je n'ai jamais participé à des massacres collectifs, des viols, ou déposé des bombes.» Comment l'idée de descendre du maquis lui est-elle venue? «Les ulémas qui nous ont convaincus de rejoindre le maquis se sont rétractés, on n'avait plus d'objectif, la situation devenait insupportable au point qu'on a été amenés à manger de la viande d'âne», a-t-il affirmé. Toutes ces années perdues pour rien, il les regrette profondément. Et ce n'est qu'après avoir dressé un bilan que l'idée de descendre du maquis a germé. Bien sûr, les personnes à qui il faisait confiance sont intervenues pour rendre possible les pourparlers avec les services de sécurité dès le mois de janvier 2006. Personnage charismatique et très influent, l'ex-émir Ikrima a été victime de plusieurs tentatives d'élimination afin d'être remplacé par quelqu'un d'étranger à la région. Parmi ceux qui avaient attenté à sa vie, on cite les nommés Abou Hassan (émir du Gspc dans la région est) et Boughaba Fouès alias Khaled. Ce dernier est en pleines négociations avec les services de sécurité pour une éventuelle reddition avec six de ses éléments. «Quand je suis descendu, je m'attendais plutôt à un interrogatoire un peu musclé, mais ce ne fut rien de tout cela», a-t-il dit, avant d'ajouter: «Je n'ai même pas été fouillé.» A vrai dire, les procédures étaient très simples. Lui et sa femme (avec laquelle il s'était marié au maquis) ont été accueillis correctement. «On a été reçus avec du couscous et de la viande» et «j'ai parlé librement, tout raconté sans qu'on me pose des questions». Pour lui, il est maintenant primordial de convaincre les 28 éléments qui activaient sous ses ordres de descendre du maquis. A propos de reddition, on note que les procédures ont été allégées considérablement. Plus de garde à vue, plus de mandat de dépôt et plus de contrôle judiciaire, bien sûr pour les repentis qui n'ont pas à leur actif des massacres collectifs, viols ou dépôt de bombes dans des lieux publics. Pour Ikrima, la réconciliation ou la moussalaha représente l'unique voie de salut. «Je ferai de mon mieux pour m'impliquer davantage dans cette démarche», a-t-il dit. Nous n'avons pas quitté notre interlocuteur sans lui avoir posé des questions sur la situation actuelle qui prévaut au maquis. «C'est la misère, la faim et presque plus de dignité. Il y a aussi ceux qui sont pour la réconciliation et ceux qui sont contre», a-t-il souligné. Ces derniers sont les irréductibles, impliqués dans des crimes et massacres indescriptibles, leur nombre est estimé à 150 sur le territoire national et une trentaine ou quarantaine d'éléments dirigés par Abou Oumayar qui activent dans la zone Constantine, Skikda et Jijel. Il s'agit du Groupe salafiste libre, le GSL dont les membres constituent en quelque sorte des desperados, dissidents d'un Gspc en totale décomposition. Ce sont des criminels qui veulent maintenir la désolation sur le massif de Skikda connu pour sa complexité et dont les accès sont très difficiles et redoutables surtout ceux qui se fondent avec la région jijelienne. On s'attend néanmoins à des redditions en cascade, surtout après que l'ex-émir de katibat Er-Roûhb a déposé les armes. Entre trente et cinquante terroristes sont encore en activité. Du côté d'Annaba, les quelques dizaines de terroristes encore au maquis, avec femmes et enfants, tentent des négociations. Aujourd'hui, il est possible de dire que les Algériens croient vraiment à la fin des infra humains.