Bouchoucha Abdelghani alias Yahia Abou Doudjma, 35 ans, Mazhoud Hamza alias Zoubir (26), et Boughaba Farès alias Khaled Abou Moslem (24), ce sont là les noms des terroristes, et pas des moindres, qui viennent à peine de déposer leurs armes. Ils ont activé au sein du GIA et du Gspc pendant plusieurs années dans les massifs de Skikda, Annaba et Constantine. L'Expression les a rencontrés, mardi soir, dans une auberge à Skikda, aussitôt après leur reddition. Ils ont accepté de se confier sans réserve, décrivant leur parcours au maquis, le pourquoi et le comment de leur djihad. Natif de Kerkra, B. Abdelghani alias Yahia était un ex-militant du FIS dissous. Il prendra aussitôt les armes au sein de l'AIS après la rupture du scrutin. Cet ex-terroriste, activement recherché par les services de sécurité et condamné une vingtaine de fois par défaut à des peines de mort et à perpétuité, avait refusé la trêve convenue entre l'AIS et l'ANP, rejoignant le GIA. Il a occupé le poste d'émir plusieurs fois, dirigé des dizaines de terroristes dont certains sont toujours au maquis. Pour ce repenti, «la démocratie est un moyen et non un but», dira-t-il, une stratégie pour instaurer une dawla islamia. Mais trahis, comme il a tenu à le dire, par Ali Benhadj et les ulémas qui constituaient pour lui des symboles du djihad et des exemples à suivre, cet ex-terroriste finira par être déçu et se considère comme une victime. «Je voulais me rapprocher de Dieu, c'est la raison pour laquelle je ne voulais pas faire la paix avec l'Etat. J'étais convaincu par les fatwas d'Ali Benhadj.» Sur les raisons qui l'ont poussé à rejoindre les rangs du GIA, il dira : «Les desperados de l'AIS, dispersés, se sont unifiés pour constituer des katibas. En 1994, une connexion entre les chefs des katibas et le GIA a eu lieu, une unification obligatoire comme le veut l'islam, qui a vu le jour, suite à une réunion qui a eu lieu à Médéa». «Notre coordinateur Abou Seïf informera par la suite notre chef Mohamed Saïd des décisions prises à Médéa, et depuis, les desperados de l'AIS étaient des membres du GIA.» Cependant, dira-t-il, «certains ont refusé cette unification et des guerres entre les groupes armés ont éclaté. L'implosion du Gspc On a perdu beaucoup de nos frères durant des accrochages internes et l'instabilité régna, notamment en ce qui concerne le partage de la ghanima, c'était la politique du chacun pour soi. Les conditions devenaient de plus en plus lamentables et contrairement à ce que voulaient faire croire les groupes armés, en organisant des guet-apens, c'était l'implosion totale». Durant cette époque, le groupe de Yahia se déplaçait d'un maquis à l'autre entre Zitouna, Collo et Tamalous, jusqu'au jour où Hassan Hattab les sollicite pour se joindre au Gspc, chose qui a été accordée. B.Abdelghani alias Yahia occupera des postes importants. Il participera à plusieurs attentats commis contre les éléments de l'ANP et de la Gendarmerie nationale. «J'ai été blessé à deux reprises.» En effet, ce repenti a échappé à la mort plusieurs fois. «Les médicaments manquaient souvent, je soulageais mes blessures grâce au miel et à l'huile d'olive qu'on rackettait auprès de la population.» L'idée de se rendre, née de l'implosion qui caractérisait le Gspc, a germé pendant six mois. Pour lui, les textes de loi de la Charte portant sur la paix et la réconciliation nationale étaient la seule et unique issue. Aujourd'hui, il veut profiter de cette loi prônée par le président de la République. Il reconnaît ses actes mais a peur de rencontrer ses victimes. «Je regrette certaines choses et pas d'autres, moi je ne suis qu'un ignorant et j'ai exécuté des ordres, je rends responsables Benhadj et Abdelkader Ben Abdelaziz. Que peut comprendre quelqu'un qui a un niveau d'instruction moyen (4e année moyenne) dans les fatwas des prêcheurs.» Refusant de dire s'il regrette ou non sa participation à des attentats contre les éléments de l'ANP, il ajoute: «Je conseille à mes frères encore aux maquis de revenir à une vie normale, tout ce que l'Etat a promis est une réalité absolue. Nous avons été blanchis pour reprendre le cours d'une vie décente, on a été correctement accueillis.» C'est également le souhait de Mazhoud Hamza alias Zoubir, qui s'est rendu avec son épouse et ses quatre enfants âgés de 3 mois à quatre ans. Des enfants nés dans les maquis, ayant enduré des souffrances amères, la faim et le froid. Cet ex-élément, jugé très dangereux par les services de sécurité, natif de Constantine, n'était autre que le frère d'Abou El Miaâd, ex-émir du Gspc dans la zone 7. Abou El Miaâd, dont la femme et les enfants ont été pris en charge par l'ANP la semaine dernière après leur reddition, a été abattu en 2005 par les forces de sécurité chargés de la lutte antiterroriste dans une embuscade tendue à Skikda. L'ex-terroriste Zoubir, comme il aime se faire appeler, tenait absolument à rejoindre son frère au maquis. Il activait entre Skikda et Annaba. C'est à l'âge de 18 ans qu'il décide de participer à la lutte armée, mais sans aucune conviction. Il voulait tout juste suivre son frère aîné. D'un niveau d'instruction faible (5e année primaire), ce redoutable élément qui activait sous les ordres de son frère, a également participé à des attentats contre les éléments de l'ANP. «J'ai activé dans le Gspc, je n'avais aucune conviction religieuse. J'ai participé à des embuscades qu'on avait préparées contre des gendarmes et des militaires.» Le regard vide, Zoubir regrette, cependant, ces années perdues pour rien. «J'ai confiance dans le dispositif entrepris par le président, comme vous voyez, je viens de prendre une douche et j'ai bien mangé, déposé les armes, c'est tout le mal que je souhaite à mes frères aux maquis.» La reddition de Zoubir a été rendue possible grâce à l'effort fourni par sa soeur. La main tendue de l'Etat Un élément important du Gspc répondra également à nos questions. Il s'agit du redoutable Boughaba Farès alias Khaled Abou Moslem. Ce dernier, le visage pâle et rongé par des années de lutte inutile, a rejoint les maquis de Skikda en 1998 pour servir le GIA à l'âge de 17 ans. Après un échec au baccalauréat, il sera contacté par son cousin Souli Zohir abattu en 1998, soit la même année par les services de sécurité. Boughaba Farès est natif de Mila, un sourire moqueur permanent sur les lèvres: «J'étais quant à moi convaincu du djihad et c'est mon cousin qui prendra en charge mon recrutement, j'ai servi au sein de katibat Er-Rouhb puis j'ai rejoint le Gspc.» Khaled Abou Moslem n'avait que 17 ans quand il a pris les armes pour être l'artificier au sein du Gspc à l'Est. Avant de rejoindre katibat Er Rouhb, il était membre à katibat Djounoud Ettakwa de Constantine dirigée à l'époque par Abou Hamam. Durant cinq ans, il participera à des guet-apens contre l'ANP entre Constantine et Skikda. A Annaba, il était chef d'atelier de fabrication de bombes artisanales. Cet ex-terroriste ne s'étalera pas beaucoup sur ses activités, il se considère même comme une victime du terrorisme. «Aujourd'hui, il est évident de dire que nous avons choisi le mauvais côté, je regrette d'avoir été entraîné et je ferai de mon mieux pour convaincre les autres de descendre, la réconciliation est une réalité.» Vers 19h 30, c'est à l'hôpital que nous allons rencontrer l'épouse de Zoubir. Fatiguée, cette femme au corps amaigri, était presque incapable de parler. Son bébé de 3 mois et ses enfants, dont le plus âgé ne dépasse pas les quatre ans, étaient autour d'elle. «Je ne sais pas si je vais pouvoir répondre à vos questions, je suis fatiguée et j'ai vécu l'enfer». Cette femme craignait les regards de sa belle-soeur, qui avait fourni d'énormes efforts pour convaincre son frère de reprendre une vie normale et d'accepter la main tendue de l'Etat. Cette belle-soeur insiste: «Il faut parler de l'horreur et de la souffrance dans les maquis», lui dit-elle. Et l'autre d'enchaîner l'air hagard, sur la misère et la peur dans le maquis, particulièrement durant cette année. «On vivait sous une tente, on avait presque rien, la nourriture manquait et on ne soignait même pas nos enfants, c'était très dur». «Excusez-moi, si je parais confuse. Qu'est-ce que je pouvais faire, à part suivre mon mari? Je n'avais pas le choix. Ça fait trois mois qu'on ne trouvait plus quoi manger. Je souffrais devant le regard de mes enfants. Je vivais bien à (Constantine) mais le destin a été contre ma volonté». Cette femme qui n'a jamais connu l'école et semblant à bout de nerfs a dû endurer les pires situations. Bénéficier de la charte portant sur la paix et la réconciliation semble être un soulagement, pour elle et pour ses enfants. Aussi, la mise en oeuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale a convaincu beaucoup de terroristes de déposer les armes. Cela se fait graduellement et le plus normalement possible. Alors que nous étions en discussion, nous apprenons par des sources très au fait de la situation que plusieurs éléments du Gspc sont attendus, même si cela ne plaît pas au GSL, une organisation criminelle dont les éléments sont activement recherchés, pour des massacres collectifs, des dépôts de bombes dans des endroits publics et pour des viols. Cette organisation tente, contre vents et marées, de maintenir la terreur et la désolation, et utilise ses armes contre les groupes armés favorables à la réconciliation nationale. Elle compte 150 éléments, selon des estimations. A l'heure où nous mettons sous presse, des opérations de bombardement par les forces héliportées sont effectuées aux limites des maquis de Collo faisant jonction avec le massif montagneux de Jijel. On croit savoir qu'un groupe armé tente de se déplacer sur cet axe.