Les prix de l'essence augmentent au Nigeria et avec eux la colère des Nigérians, depuis que l'Etat a mis un terme à un système de subvention des carburants, pour tenter de renflouer ses caisses, vidées par la pandémie de Covid-19. Ces derniers jours, le prix de l'essence à la pompe a atteint les 162 nairas le litre (0,36 euros), une augmentation de près de 15%, conséquence de la dérégulation voulue par le gouvernement nigérian. Bien que ces prix paraissent peu élevés en comparaison des tarifs dans d'autres pays, c'est un coup dur pour les consommateurs nigérians qui considèrent le carburant bon marché comme l'un de leurs rares privilèges de citoyens du premier producteur de brut d'Afrique, miné par la pauvreté et la corruption. «Nous le ressentons sérieusement», se plaint John Kayode, un ingénieur qui vient remplir le réservoir de sa voiture dans le centre de Lagos, «le carburant est un produit de première nécessité. Cette augmentation des prix affecte tous les secteurs de l'économie». Les habitants du pays le plus peuplé d'Afrique - dont près de la moitié des 200 millions d'habitants vit sous le seuil de pauvreté - ont bénéficié pendant des années d'un prix à la pompe artificiellement bas. Le Nigeria ne possède que d'infimes capacités de raffinage, contraignant les autorités à subventionner à coup de milliards de dollars le carburant importé. Mais face à la récession mondiale déclenchée par le nouveau coronavirus, notamment l'effondrement ces derniers mois des cours du brut qui l'a privé d'une énorme part de ses revenus, le Nigeria a été contraint de revenir sur ces coûteuses subventions. Le gouvernement a en outre annoncé dans le même temps une hausse des tarifs de l'électricité, qui vont doubler, passant de 33 à plus de 60 nairas par kilowatt. Le président Muhammadu Buhari a défendu lundi ces augmentations, «une décision cruciale» au vu de l'effondrement des revenus pétroliers. «Il n'y a pas de provision pour les subventions du carburant dans le budget révisé de l'Etat pour 2020, et ce tout simplement parce que nous ne pouvons pas nous le permettre si nous voulons avoir les fonds nécessaires pour la santé, l'éducation et autres services sociaux» a-t-il déclaré. «Nous n'avons tout simplement pas le choix.» Mais cette décision a déclenché la colère de la population, déjà aux prises avec le marasme économique et l'inflation. Ayuba Wabba, le président du syndicat Congrès du Travail du Nigeria (NLC) évoque «un affront au peuple nigérian qui porte le lourd fardeau de la pandémie de Covid-19.» et promet que les syndicats vont résister à cette «énième tentative d'appauvrir la masse des travailleurs». De son côté, l'ONG Serap envisage un recours en justice contre une mesure qui «va mettre des vies en danger et aggraver encore la pauvreté et les inégalités déjà amplifiées par la pandémie». La fin de l'interventionnisme coûteux de l'Etat était réclamé depuis longtemps par les bailleurs internationaux qui ont à nouveau fait pression cette année sur les autorités ayant un besoin urgent de fonds pour boucler leur budget. Pour l'économiste Michael Famoroti, ce système de subventions - réputé marqué par la corruption - n'était plus viable. «Quand les cours mondiaux du brut se sont effondrés et que le Covid est apparu, le gouvernement nigérian connaissait des difficultés de trésorerie. Comme dans d'autres pays, il devait trouver de l'argent pour relancer l'économie.» Les distributeurs qui gèrent les stations ser-vice du pays, applaudissent eux aussi la fin de l'encadrement des prix, qui rognait sur leurs marges. «Nous nous battons pour la dérégulation du secteur depuis des années», rappelle Tunji Oyebanji, président de l'Association des distributeurs de carburant du Nigeria. Il assure que le jeu de l'offre et la demande, ainsi que la concurrence loyale sur le marché permettront à terme un ajustement des prix. «La décision du président est un premier pas dans la bonne direction. Certains ajustements sont encore nécessaires afin que cette mesure porte ses fruits», estime-t-il.