Le mouvement de grève nationale de deux jours, déclenché par les avocats, a été une grande réussite. Les robes noires ont totalement respecté le boycott des tribunaux et des cours sur l'ensemble du territoire national, mercredi et jeudi derniers. La décision prise par l'Union nationale des barreaux de cesser toute activité est une action de solidarité avec les avocats d'Alger, en grève eux, depuis dimanche dernier, pour exiger «le respect des droits de la défense» après l'offense subie par le bâtonnier Me Selini. D'ailleurs, le barreau d'Alger, qui reprendra son activité, demain, a annoncé la suspension du mouvement de protestation pour une durée de deux semaines et non pas sa fin, afin de maintenir la pression jusqu'à la satisfaction de l'ensemble des revendications. Cette suspension du boycott ne concerne, cependant pas le président de la 5e chambre correctionnelle ni la composante de la 1ére chambre correctionnelle près la cour d'Alger. C'est cette dernière qui traite du dossier Sovac et dont le magistrat avait décidé de mettre l'affaire en délibéré et de clôturer les plaidoiries avant même l'intervention d'une dizaine d'avocats. Il s'agit, bien évidemment, du procès qui a été marqué par l'incident entre Me Selini et le juge, à l'origine du mouvement de protestation. Mercredi dernier, une délégation des avocats de la capitale, conduite par Me Baghdadi, a rencontré le président et procureur général de la cour d'Alger pour évoquer, justement, les multiples obstacles que rencontre la corporation dans l'exercice de ses fonctions. Et ces obstacles sont nombreux selon les robes noires, à commencer par le rejet des requêtes de report de l'audience, la difficulté d'accès à certaines pièces à charge versées aux dossiers, recours excessif au mandat de dépôt, prononcé de verdicts disproportionnés par rapport aux chefs d'inculpation, mais aussi la généralisation de «simulacres de procès» avec le recours à la vidéoconférence, considérée par les avocats comme une «violation totale des normes d'une justice équitable». Il faut dire que le mouvement de protestation des robes noires se déroule dans un contexte exceptionnel marqué par le lancement du projet de révision constitutionnelle qui devra jeter les fondements d'une nouvelle République. L'Algérie nouvelle ne pourra se construire sans une justice libre où les procès seront équitables et transparents. C'est la raison qui amène les robes noires à se lancer dans une bataille farouche pour préserver les droits de la défense rejetant haut et fort «la justice du téléphone» et «l'instrumentalisation politique de la justice». Il faut dire que depuis des mois, magistrats et avocats sont soumis à un rythme de travail effréné. De grandes affaires de corruption sont programmées à des dates rapprochées et leur traitement accéléré les transforme en des procès-marathon. Ce qui fait dire à plusieurs avocats que «la défense est devenue un simple décor». En se lançant dans un bras de fer avec les magistrats, les avocats cherchent certes, à défendre leur bâtonnier qui a fait objet d'une grande humiliation mais ils visent surtout à affranchir la justice et consacrer concrètement son indépendance au moment même où le projet de Loi fondamentale est soumis à un large débat.