Des jeunes gens confrontés à l'oisiveté n'ont trouvé mieux pour fructifier leur quotidien que de guetter le stationnement des véhicules dans leurs quartiers pour obliger les automobilistes à payer la «taxe» de gardiennage. «Ce n'est point une mince affaire que celle de prendre le volant à Alger!». Ce propos de Abdelhak, démarcheur commercial au sein d'une entreprise étrangère basée à Hydra, sonne comme une pénitence. Du haut de ses cent quatre-vingt centimètres, Abdelhak, qui ne travaille que dehors, en allant d‘une entreprise à une autre pour parapher «des contrats de partenariat» évoque avec amertume la galère des déplacements à Alger. «On peut admettre, dit-il, le fait que la circulation automobile à Alger est encombrée, en raison du réseau routier qui n'arrive plus à contenir l'explosion du parc automobile. Cependant, débourser au quotidien 200 à 300 DA de frais de stationnement, cela est inadmissible». Abdelhak fait allusion aux nombreux jeunes chômeurs qui, du jour au lendemain, se sont érigés en gardiens de parkings sur des surfaces qu'ils ont fini par... squatter! Notre interlocuteur dit être arnaqué par ces derniers, «cinq à six fois par jour», représentant le nombre de fois qu'il stationne son véhicule pour accomplir son travail. Ces pseudo-gardiens qui ne sont mandatés par personne, incarnent, aux yeux de ce démarcheur, une véritable «mafia» sévissant au détriment des lois de la République et imposant leur diktat dans les moindres recoins de la capitale. Pour eux, le procédé est très simple: il suffit de s'approprier un territoire inoccupé et de le transformer en parking sans daigner se rapprocher des services compétents pour acquérir une autorisation au préalable. En ce sens, l'exemple de la commune de Sidi M'hamed est édifiant. «Nul parmi ce genre de parkings existant à travers cette commune n'est autorisé par les services de l'APC», lâchera M.Mokhtar Bourouina, le maire de cette localité. Ce dernier nous informe par ailleurs qu'une directive du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, émise depuis peu, recommande aux APC d'Alger d'offrir un cadre d'exercice légal à l'activité de gardiennage des parkings, qu'il faudrait de facto extirper du monde de l'informel. Une telle démarche trouve son écho assurément- dans le sillage de la création d'un million de postes d'emploi, comme cela est promis par les pouvoirs publics. Au niveau de Sidi M'hamed, ce sont approximativement une cinquantaine de jeunes qui sont concernés par cette mesure, nous confie M.Bourouina. En revanche, dans toute la capitale, cette catégorie de citoyens qu'il faudra désormais régulariser, se compte par plusieurs centaines. Un petit tour à travers les quelques ruelles d'Alger, celles de Hassiba, Meissonier, Avenue Abane Ramdane ou encore les venelles de Bab-El-Oued, nous a permis de lever le voile sur tout un remue-ménage qu'actionnent des jeunes évoluant sous forme de groupuscules épars, chacun ne dépassant guère les limites de son quartier respectif. Des jeunes gens confrontés à l'oisiveté de tous les jours, livrés à eux-mêmes sinon à la pratique délictuelle entre autres, la consommation de la drogue, n'ont trouvé mieux pour fructifier leur quotidien, que de guetter le stationnement de véhicules dans leurs quartiers pour obliger le conducteur à payer la « taxe » de gardiennage. Les automobilistes circulant à Alger savent pertinemment que le fait de se garer quelque part, même si cela ne peut durer que l'espace d'un clin d'oeil, implique de débourser 30 DA au minimum, pour s'offrir les bonnes grâces de cette population juvénile guettant tout mouvement manifesté dans son territoire «intime». Des territoires qu'ils ne quittent presque jamais et qu'ils surveillent jour et nuit. Main basse sur la voie publique Inexorablement, ces endroits représentent pour eux des lieux de prédilection par excellence. A vrai dire, si ces jeunes ne daignent point s'éloigner de leurs quartiers, c'est pour la simple et bonne raison qu'ils n'ont pas du tout envie d'aller ailleurs. Autrement dit, ils sont convaincus qu'il est inutile de «s'affairer pendant des journées entières à dénicher un emploi digne de ce nom en frappant à toutes les portes des entreprises», témoignait Hassane, 25 ans résidant à Meissonier. Ce dernier avertit, en outre, qu'il est hors de question de rôder ou bien de tenter de s'acclimater dans « les quartiers des autres», car cela pourrait se traduire, insiste-t-il, par une confrontation à mains nues, pour ne pas dire à couteaux tirés. Partant des propos tenus par Hassane, l'on est tenté de dire que les quartiers de la capitale sont soumis à une sorte de ghettoïsation, où des jeunes chômeurs imposent leur diktat au détriment des lois en vigueur et de l'ordre établi. Sinon comment peut-on expliquer le fait qu'à la minute où l'on s'apprête à garer son véhicule, une mine juvénile pointe du nez et vous exige de payer 30 DA comme frais de stationnement. Une attitude qui frise parfois l'agression, notamment quand il s'agit de la gent féminine. L'automobiliste, quant à lui, est comme censé concéder cette somme à son vis-à-vis sans poser trop de questions. Dans le cas contraire, ce sont ceux-là mêmes qui sont chargés -ou plutôt qui se sont chargés- de la protection de son véhicule, qui sont les premiers à lui causer un désagrément. C'est là une vérité confirmée dans bien des cas. Une évidence qui ne s 'explique que par cette volonté de faire main basse sur la voie publique. Laquelle volonté se manifestant, indiquent certains automobilistes, par de réels dépassements en termes d'atteinte aux biens d'autrui. Ceci est presque inéluctable, surtout si les propriétaires des véhicules refusent de payer les 30 DA de stationnement. Ammi Saïd, ce quinquagénaire résidant à Ben Aknoun, est de ces conducteurs ayant subi ce genre de mésaventure. Voici son récit : «L'autre jour, alors que je m'apprêtais à stationner mon véhicule au quartier de la place du 1er-Mai, non loin de la bâtisse de l'UGTA, je n'avais pas encore éteint le moteur quand une voix imposante me réclamait 30 DA par-delà la vitre entr'ouverte. Ne voulant pas céder, j'ai songé qu'il était plus utile pour moi de redémarrer et d'aller me garer un peu plus loin, à une vingtaine de mètres de l'endroit que j'avais choisi initialement. Je m'absente de mon véhicule une demi-heure environ que j'ai écoulée en rendant visite à un ami qui habitait ce quartier. A mon retour, j'étais outré de constater que le pare-brise arrière de ma voiture était endommagé. Mon ami qui me tenait compagnie m'apostropha en me demandant si je me m'étais acquitté des frais de stationnement au profit de l'un de ces jeunes qui rôdaient là à mon arrivée. J'ai répondu par la négative. Il me fera savoir alors que c'était là une grave erreur à ne plus jamais répéter, surtout lorsqu'on s'aventure dans des quartiers où on ne nous connaît pas». Un autre automobiliste rencontré non loin de la Maison de la presse du 1er-Mai atteste avec vigueur «qu'il n'est pas du tout loisible pour le conducteur qui n'est pas considéré comme un habitué du quartier (ndlr : les alentours du 1er-Mai) d'y garer son véhicule». Et d'ajouter « ... ces jeunes drogués qui se font passer pour des gardiens de parkings, alors qu'ils ne sont mandatés par personne y compris les services de l'APC, ne sont en réalité qu'une bande de délinquants qui, non seulement rackettent les gens, mais également s'attaquent aux voitures garées en l'absence de leurs propriétaires». Le dilemme De tels comportements sont sans aucun doute condamnables par la loi. Cependant, force est de constater que, s'agissant de ce genre de pratique connue de tous au niveau de l'Algérois, autant dire que les services de sécurité censés les réprimer ont montré leurs limites. Devant un tel constat, les pouvoirs publics, notamment les services des communes d'Alger, n'ont guère d'autre choix que celui de régulariser cette poignée de gardiens de parkings activant dans l'informel. C'est dans cette optique, assurément, que la directive du département de l'intérieur et des collectivités locales -évoquée plus haut par le président de l'APC de Sidi M'hamed- a été certifiée à l'endroit des élus municipaux de l'Algérois. Au niveau de la commune de Sidi M'hamed, une commission a été installée et s'affaire actuellement à l'élaboration du cahier des charges devant définir les droits et les devoirs de ces gardiens de parkings, nous apprend M.Mokhtar Bourouina. D'autre part la « culture » des parkings informels ne s'est pas faite jour uniquement sur la voie publique. La mafia des parkings sévit également à l'intérieur des cités. Et là les conséquences sont encore plus graves. En effet, certains citoyens nous ont fait part du recours à des actes de violence perpétrés par des gardiens qui se convertissent en de véritables gangsters, si jamais un des résidants véhiculés refuse de payer les frais de gardiennage. Des actes de violence qui se soldent, indique-t-on, par des descentes expéditives où sont recensés beaucoup de dégâts matériels.