«L'ère du pétrole pas cher est révolue» Universitaire responsable au laboratoire de Valorisation des Energies Fossiles au niveau de l'Ecole polytechnique, expert spécialiste du pétrole, le Docteur es sciences Chems Eddine Chitour ingénieur nous apporte au fil de cet entretien un éclairage sur l'actualité brûlante de la question pétrolière, suivons-le. L'Expression: Les prix du pétrole ont atteint la semaine dernière, la barre de 70 dollars. En tant que spécialiste, comment voyez-vous l'évolution des prix dans l'avenir? Professeur Chems Eddine Chitour: La flambée des prix du pétrole est en général due à deux types de problème: des problèmes techniques (capacités de raffinage insuffisantes aux Etats-Unis ou en Europe,) économiques (tels que par exemple la boulimie énergétique chinoise,) climatiques (ouragan type Katrina ou, en règle générale le dérèglement du climat) et enfin géopolitiques (guerre d'occupation en Irak, instabilité au Nigeria, en Arabie Saoudite et enfin le nucléaire iranien). Cette fois, l'Iran déclare savoir enrichir et obtenir l'uranium 235 qui a un double usage (civil pour produire de l'électricité et militaire). Les facteurs de perturbation sont boostés par la spéculation qui amplifie ces perturbations. Dans tous les cas, l'ère du pétrole pas cher est révolue. Chaque pays essaie de garder sa fortune dans son sous-sol et ne l'extrait qu'avec parcimonie, au meilleur prix, et, en fonction de ses besoins. Les industriels du pétrole soutiennent que la technologie va bientôt permettre de recourir à des réserves pétrolières ultimes (aux pôles et au fond des océans). D'après vous, quel sera l'impact sur les prix? Dans tous les cas, les ressources ultimes évaluées, sont de l'ordre de 400 milliards de tonnes équivalent pétrole, les réserves sont de 160 milliards de t.e.p. La technologie (sismique 3D, 4D et forages horizontaux..) permet d'augmenter les réserves qui ont été multipliées par deux depuis 40 ans. On pense arriver à un taux de récupération de 50% avec des coûts d'extraction de plus en plus chers. Nous passerons ainsi de 160 à 200 milliards de tonnes. Avec une production moyenne de 5 milliards de t.e.p, nous avons pour 40 ans. En 2050 le pétrole sera très marginal dans le bilan énergétique mondial. Il vient que les prix du pétrole seront de plus en plus élevés en dollars courants, en dollars constants, il faut savoir que les 60 dollars actuels sont équivalents aux 30 dollars du début des années 80. Peut-on aujourd'hui envisager un avenir énergétique dans le monde. En tout cas les perspectives sont annonciatrices d'un avenir énergétique incertain. Jusqu'en 2030, les trois sources d'énergie fossiles pétrole gaz naturel, charbon seront prédominantes à plus de 80%. Le malheur de la planète vient des pays industrialisés qui gaspillent d'une façon massive l'énergie. Savons-nous qu'un Américain consomme 8 tonnes de pétrole par an, un Européen ou un Japonais 4 tonnes , un Africain 0,4 tonne, soit 20 fois moins que l'Américain! Les Etats-Unis refusent de signer le protocole de Kyoto alors qu'ils polluent pour 25% la planète. Il est admis qu'avec 3 tonnes les pays industrialisés peuvent continuer à se développer s'ils ont fait des économies d'énergie, notamment dans les transports: il y a 750 voitures pour 1000 habitants aux E.U. En Chine il n'y a que 12 et on veut empêcher ce pays de rattraper son retard. Le développement à marche forcée des énergies renouvelables telles que le solaire, l'éolien, la biomasse et la géothermie est une nécessité. A moyen terme, l'utilisation de l'hydrogène peut aussi suppléer au pétrole dans les moteurs de voiture. Si on divise par deux la consommation mondiale actuelle, la relève pourra être assurée par les énergies renouvelables et le nucléaire qui est une énergie incontournable malgré les problèmes de sûreté qu'elle pose. Les grands équilibres géopolitiques pourraient être bouleversés par cette crise énergétique et économique. Comment situez-vous le rôle de l'Algérie en sa qualité de pays pétrolier et surtout gazier? L'Europe sera dépendante à 70% de l'approvisionnement en énergie; les Etats-Unis aussi. La politique actuelle est celle de s'accaparer par multinationale interposée les derniers gisements de la planète. Au besoin la diplomatie aéroportée digne continuatrice de la diplomatie de la canonnière est là pour expliquer aux récalcitrants le rôle qui leur est imparti dans la nouvelle division du monde. On dit souvent suivez l'installation des bases américaines, vous y verrez ...curieusement les routes du pétrole. S'agissant de l'Algérie, il serait sage de n'extraire le pétrole qu'en tant que de besoin. Il est plus rentable à terme pour le pays de garder le pétrole et le gaz dans le sous-sol que sous forme de papier dans les banques. L'avenir du pays c'est aussi celui des générations futures, il sera dans une large mesure fonction de la parcimonie avec laquelle nous plaçons chaque dollar de cette manne céleste dans des projets porteurs mobilisateurs de la jeunesse et surtout créateurs de richesse. Pour leur approvisionnement en énergie, les Américains projettent de focaliser leur intérêt vers le continent dans les quinze prochaines années. Disons tout de suite que la richesse de l'Afrique- si seulement les dirigeants le savaient- est dans sa jeunesse exubérante et malheureusement en panne d'espérance. L'Afrique est le continent le plus pauvre, un Africain consomme en un an ce que consomme en électricité un Américain en trois jours ou un Européen en une semaine. Le continent africain fait depuis 10 ans l'objet d'un hold-up en coupe réglée entre les grandes multinationales américaines, anglaises, françaises, italiennes et mêmes chinoises. Les présidents confondent les finances de l'Etat avec leur propre compte en banque. On ne compte plus les scandales des deux Congos, du Gabon et tout dernièrement du Soudan et du Tchad. Les multinationales ont leurs propres milices qui font et défont les présidents. Les Américains sont naturellement aux avant-postes, ils ont fort à faire avec les anciennes puissances coloniales qui ne veulent pas lâcher leurs proies.