«Où sont ces formations politiques qui n'apparaissent qu'à l'occasion des élections?», s'interroge Bouteflika. Le même personnel politique erre dans le même espace, navigue à vue avec les mêmes lacunes, les mêmes réflexes, en gardant jalousement un oeil sur les acquis arrachés de haute lutte dans les arcanes du pouvoir. L'allégeance aux hommes qui créent les partis politiques, les associations de tout bois, la société civile avec ses innombrables contradictions, qui façonnent les portraits des hommes et des femmes appelés à occuper un jour des postes dans les institutions, dévoile le côté pervers de la vie politique algérienne. Mais il y a lieu de souligner les exceptions qui confirment la règle. On citera les cas du FLN et El Islah qui ont vraiment connu des mutations internes dignes d'être relevées. Le premier a connu une crise profonde, pour les raisons induites par la dernière présidentielle. Les disputes, les querelles, les luttes de repositionnement, les débats intenses et internes sur les grandes orientations du FLN ont accompagné cette longue métamorphose qui a duré deux ans. Les élections des structures de la base ont démontré que la démocratie dans le vieux parti présente une grille de lecture intéressante. Le deuxième cas de figure concerne El Islah. Ce parti a connu deux crises bénéfiques pour la démocratie. Il faut rappeler que la formation mère Ennahdha avait pu former des cadres compétents que l'opinion publique a découverts dans la première assemblée pluraliste de 1997. Ces derniers ont remis en cause le charisme de leur chef Abdallah Djaballah qui entravait, selon leur point de vue, leur épanouissement. La cassure qui a eu lieu à l'époque préélectorale en 1999, a permis la création d'un autre parti. Le nouveau parti El Islah a raflé la mise lors des législatives de 2002 mais a permis aussi aux anciens d'Ennahdha d'intégrer les institutions de l'Etat qui relevaient du monopole des laïcs. La deuxième dissidence qui a secoué le parti El Islah semble être plus difficile. La justice n'a pas encore tranché le bras de fer qui oppose Djaballah à son ancienne garde, désormais en désobéissance. Il apparaît plus fragilisé que jamais. Mais la démocratie a introduit des changements dans les comportements. Elle a eu le dernier mot. Les « démocrates autoproclamés », selon la formule de Bouteflika, les partis de l'opposition classique ainsi que ceux se revendiquant du courant nationalo-islamiste n'ont pas pu, hélas, créer des mécanismes permettant une mutation interne sur le principe de l'alternance. La stagnation de la classe politique n'est pas un secret. Le constat est connu depuis très longtemps. Mais les raisons sont moins connues. On se souvient de la prolifération des partis politiques dès l'avènement du multipartisme. Plus d'une soixantaine de partis ont vu le jour. Certains se réduisaient à un simple sigle, si ce n'était pour amuser la galerie. La crise a mis à nu cette pléthore faite de toutes pièces pour inonder le «marché». La Conférence du dialogue national (CDN), tenue en janvier 1995, a démontré que le remplacement des partis représentatifs par des sigles était à la limite du grotesque. La mise à l'écart des «trois fronts» a porté un coup à la démocratie naissante qui était au départ prometteuse. Depuis, certains partis ont survécu grâce à la générosité des médias lourds et des subventions de l'Etat. Très peu ont pu survivre par l'esprit combatif de leurs militants. D'une manière générale, le mot « militant »avait perdu son sens puisqu'on le devenait après avoir occupé un poste de ministre. D'autres ont gardé un pied dans le pouvoir et l'autre dans l'opposition, en jouant tous les rôles, comme s'ils accomplissaient une mission divine. D'autres, enfin, ont quitté avec armes et bagages un parti pour un autre, plus coté en période électorale puis sont repartis encore le surlendemain vers un autre, sans se soucier de l'éthique. L'opposition classique s'est imprégnée, elle aussi, des bienfaits de la «participation». Là, on excepte le cas du FFS qui, en raison de l'absence de son chef, tout en restant constant dans ses positions, a perdu beaucoup de terrain en laissant la voie libre à ses adversaires, et à un degré moindre le Parti des travailleurs, qui, lui aussi, souffre de dissidences dues aux prébendes. Lorsque Bouteflika s'interroge sur le rôle des partis, on est tenté de lui renvoyer la question : les défaillances de la classe politique ne sont-elles pas générées par le régime lui-même? Lorsque le FLN, par exemple, pose le problème de la révision de la Constitution pour choisir un système politique clair, un autre parti de l'Alliance présidentielle - et non des moindres - s'oppose farouchement à l'initiative et le lui rappelle publiquement, on ne peut que s'interroger sur les intentions de chacun. Bouteflika veut-il, oui ou non, changer la Constitution? Si oui, il lui suffit de l'annoncer.