Le choix cornélien que devrait prendre le Président Bouteflika est déterminé par l'évolution de la situation dans cette région et l'attitude de la classe politique. La décision de boycott du FFS a porté un coup douloureux aux élections législatives. Alors qu'il subsistait une mince probabilité que la Kabylie ne se tourne pas définitivement vers le boycott, le refus de Hocine Aït Ahmed de cautionner «la fausse solution» que sont les élections du 30 mai prochain, hypothèque même leur organisation, voire leur crédibilité. De ce fait, une alternative demeure viable pour le pouvoir. Soit rayer la Kabylie de la carte électorale, soit reporter les élections. Le choix cornélien que devrait prendre le Président Bouteflika est déterminé par l'évolution de la situation en Kabylie et l'attitude de la classe politique. C'est dans cette alternative que réside une légère équation pour le pouvoir qui doit agir entre son désir de fermeté en tant qu'appareil d'Etat, et sa souplesse de composition en tant que système politique. Pour ce qui de la première option qui consiste à barrer d'une croix rouge trois à cinq wilayas du pays du champ électoral, l'intention existe depuis un certain temps. Cette option, certes radicale, repose sur des critères objectifs, mais également des considérations subjectives. Objectivement, les principaux partis politiques représentatifs en Kabylie n'entreront pas dans la course. Le RCD a été le premier à choisir le chemin du refus davantage pour des problèmes internes liés à l'effondrement organique du parti d'un Saïd Sadi qui pense davantage à la présidentielle de 2004 qu'à donner des sièges à ses cadres, du moins les plus fidèles. Le FFS a suivi cette tendance pour des considérations quasiment «idéologiques» qui font le fondement de ce parti. Aït Ahmed revendique la mise à mort du système politique tel qu'il se le représente et ne pas renier, fondamentalement, des années d'opposition à un pouvoir qu'il n'a eu cesse de critiquer. Même si certains nourrissaient l'illusion que le FFS se devait de réorienter sa stratégie pour des impératifs conjoncturels (il aurait été le seul parti de l'opposition non islamiste à rafler un quota important à l'APN), la formation d'Aït Ahmed s'en tient à une ligne « historique » d'opposition même si elle se confond avec de «l'oppositionnisme». Entre ces deux poids lourds de la Kabylie, le mouvement des ârchs, tout en déclinant sa force politique, a également prôné le boycott en donnant, par l'incendie des urnes, un sens physique au rejet électoral. Si l'on ajoute à l'absence de ces formations, le contexte sécuritaire explosif dans la région reflété par un cortège d'émeutes, de manifestations, de sit-in et d'arrestations massives, la carte électorale en Kabylie devient réellement problématique. Pour ce qui est de la seconde option, à savoir le report, le pouvoir pourrait examiner cette éventualité en cas d'aggravation de la crise. La reprise en main policière effectuée contre les têtes emblématiques des ârchs tend à saper le mouvement de contestation et à isoler les « meneurs » des jeunes émeutiers. Cette tactique pourrait être relayée par un dispositif judiciaire assez lourd caractérisé par des chefs d'inculpation dissuasifs. Le tout en assurant une présence sécuritaire (police-gendarmerie) d'un niveau conséquent. Or, dans ce combat d'usure qui s'annonce, c'est davantage les ârchs qui ont eu, jusqu'aux arrestations, un coup d'avance. Ni les tractations secrètes, ni les émissaires qui ont sillonné la Kabylie, ni les négociations directes, ni même les garanties officielles formulées par le Président Bouteflika n'ont réussi à atténuer, un temps soit peu, la contestation dont la combustion permanente obéit à des mécanismes sophistiqués en termes de gestion des foules et par conséquent de la violence à moyenne intensité. Une combustion qui risque d'aller vers une radicalisation plus extrême encore et d'ouvrir le champ à une sédition. Mais comme à l'accoutumée, il est fort probable que le pouvoir va jouer la carte de la continuité légaliste. Fournir des conditions optimales pour que le scrutin se déroule «normalement» en Kabylie avec une participation même symbolique des autres partis engagés, tels le FLN, le RND, le MSP et surtout le PT, qui, pour leur part, ne comptent pas faire l'impasse sur la Kabylie. Les pouvoirs publics vont faire en sorte que les bureaux de vote soient ouverts le jour J même si l'abstention risque d'atteindre des profondeurs historiques (-10%). Car si le pouvoir n'adopte pas cette stratégie, en gardant un oeil sur l'évolution des rapports de forces politiques en Kabylie, il risque de s'aliéner les autres partis et prendre le risque d'une fragmentation électorale nationale.