Ce texte politique servira plus tard de feuille de route dans le dialogue entre le mouvement citoyen et le chef du gouvernement. Jamais depuis l'indépendance du pays, la Kabylie, cet éternel berceau de la rébellion, n'a connu d'événements plus sanglants, plus dramatiques, que ceux du Printemps noir de l'an 2001. Trois mois de violentes émeutes populaires ont suffi à cette «poudrière», pour devenir une véritable scène où se jouent tous les genres de la tragédie. Néanmoins, cette période a été suffisante aux coordinations et comités des villes et villages de sept wilayas - Tizi-Ouzou, Béjaïa, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Bouira, Boumerdès, Alger - pour l'élaboration d'une plate-forme de revendications qui devait être déposée à la présidence de la République, à l'issue de la manifestation historique du 14 juin 2001. Ce texte politique, composé de quinze points, servira plus tard de feuille de route dans le dialogue entre le mouvement citoyen et le chef du gouvernement. Lequel dialogue, faut-il le rappeler, a été entamé le 29 septembre et ce, suite à l'appel lancé par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Néanmoins, le chef de l'Exécutif de l'époque, Ali Benflis, avait exigé aux délégués des coordinations et comités des villes et villages des sept wilayas de renoncer à certains points de la plate-forme d'El Kseur, notamment les revendications deux et onze. La deuxième revendication exige du gouvernement «le jugement par les tribunaux civils de tous les auteurs, ordonnateurs et commanditaires des crimes et leur radiation des corps de sécurité et des fonctions publiques». La onzième revendication, quant à elle, exige «la mise sous l'autorité effective des instances démocratiquement élues de toutes les fonctions exécutives de l'Etat ainsi que les corps de sécurité». Cependant, les exigences de la chefferie du gouvernement n'ont pas été acceptées. D'autant plus que les délégués de l'interwilayas n'avaient de cesse de souligner que la plate-forme d'El Kseur est scellée et non négociable. Ce à quoi le gouvernement a, selon toute vraisemblance, cédé. Concernant les treize autres points exprimés, ceux-ci se rapportent, entre autres, à «la prise en charge par l'Etat de toutes les victimes blessées et familles des martyrs de la répression durant ces événements», «pour l'annulation des poursuites judiciaires contre tous les manifestants ainsi que l'acquittement de ceux déjà jugés durant ces événements», «pour un plan d'urgence socio-économique pour toute la région de Kabylie». Il convient de souligner que le dernier point cité a eu un écho favorable de la part des pouvoirs publics. A ce titre, dans le cadre du plan de relance économique, initié par le président de la République, une enveloppe budgétaire conséquente a été dégagée pour, notamment, les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa. Ces deux wilayas ont respectivement bénéficié de 78 milliards et 47 milliards de dinars. En outre, mis à part les problèmes socio-économiques, la question identitaire a également constitué l'un des principaux volets exprimés dans la plate-forme d'El Kseur. En effet, dans le huitième point dudit document, il est exigé du gouvernement «la satisfaction de la revendication amazighe dans toutes ses dimensions (identitaire, civilisationnelle, linguistique et culturelle) sans référendum et sans condition, et la consécration de tamazight en tant que langue nationale et officielle». Toutefois, cette question, ayant conduit à l'arrêt des pourparlers entre le pouvoir et le mouvement citoyen, est jusqu'à présent, à moitié réglée. Le pouvoir n'a accepté, du moins pour le moment, que le fait que Tamazight soit langue nationale. Quant à son officialisation, le chef de l'Etat, lui-même, avait émis, lors de sa visite l'année dernière à Constantine, un niet catégorique. Cependant, avec la reprise du dialogue, prévue pour le 25 du mois en cours, peut-on s'attendre à une nouveauté susceptible de régler définitivement la question? Wait and see.