Qu'elle soit politiquement correcte ou incorrecte, la presse n'est jamais neutre. Tout le monde le sait, y compris les sculpteurs de talent, le Penseur de Rodin n'est pas dans la posture de quelqu'un qui se gratte les méninges. De même lorsque les autorités algériennes inaugurent la place La Liberté de la presse à la rue Hassiba Ben Bouali - dans un endroit qui n'est pas trop éloigné de la Maison de la presse Tahar-Djaout, un martyr de la profession s'il en est - c'est un peu pour exhiber un machin à la face de ceux qui reprochent à ces mêmes autorités de ne pas hésiter un instant à jeter un journaliste en prison pour ses idées, en déguisant cet acte sous un habillage de droit commun. Une stèle érigée à la gloire de la liberté de la presse n'est pas la fonction qui crée l'organe, car ici en l'occurrence l'organe n'est ni une statue ni une place, mais des journaux libres et une ouverture conséquente du champ audiovisuel. Métonymiquement parlant, un fusil peut faire penser à la guerre, la pioche à l'agriculture, le frigo à la morgue, la truelle au maçon, le stylo au journaliste, mais dans ce dernier cas l'éventail reste ouvert, puisque: le bureaucrate aussi a un stylo. Le juge qui envoie un journaliste derrière les barreaux aussi. Comme disait Mohamed Dorbane: «Un journaliste ne tire pas, il écrit.» Toute la différence réside là, sans aucun doute. Le grief que font certains à la presse est cependant le suivant : les mots font très souvent plus mal que les balles. Le président du Parlement européen, Joseph Borelli, avait coupé la poire en deux, en affirmant que la presse ne se porte en Algérie pas plus mal que dans les autres pays méditerranéens. Le hic est qu'il soit souvent dit que la presse algérienne est la plus libre du monde arabe, ce qui n'empêche pas Reporter sans frontières de classer notre pays juste derrière quelques pays dictatoriaux, à cause non seulement de l'emprisonnement de Mohamed Benchicou, et de quelques correspondants régionaux à Djelfa et El Bayadh, mais aussi de la cascade de condamnations à six mois ou à une année de prison, parfois assorties d'un sursis, mais très souvent fermes, quoique, fort heureusement non exécutoires. Certes les journalistes ne sont pas des enfants de choeur : ils travaillent sur une matière qui est très sensible, mais une personnalité publique, pour reprendre une expression de Philippe Douste-Blazy, doit avoir le cuir tanné, sinon elle n'a qu'à rentrer chez elle. N'est-ce pas que c'est la règle du jeu. Qui dit presse, dit information et communication. L'information a forcément une valeur. Elle peut être monnayée, stockée, détournée, manipulée, faussée, mise en veilleuse, balancée au moment où elle peut être le plus efficace, soit sur le plan politique, idéologique, économique. Elle peut être politiquement correcte ou incorrecte, selon les cas, mais elle n'est jamais neutre. Ceux qui font de la rétention de l'information, ou de la manipulation agissent en connaissance de cause. Le problème de nos dirigeants est qu'ils choisissent les canaux et les méthodes les plus ringardes pour faire passer leur message. Le problème de nos journalistes est de croire qu'ils refont le monde à chaque article qu'ils commettent, alors que le lecteur reste maître du jeu: ce n'est pas le journaliste qui lui dicte sa conduite. Ces deux conceptions erronées de la presse (celle du dirigeant et celle des journalistes) aboutissent à la neutralisation de l'acte d'écriture. La communication, elle, a une acception beaucoup plus large : des infrastructures de base comme les routes et les chemins de fer jusqu'à Internet, au réseau bancaire, en passant par la réception par satellite, elle est le maillage qui permet à la société d'avancer, d'inventer, et de créer. Tout le problème de Boumediene et de tous les dirigeants qui lui ont succédé, y compris aujourd'hui le président Abdelaziz Bouteflika, a été de ne pas avoir compris cela, ce qui fait que notre pays a pris un retard immense par rapport à des pays voisins, du Maroc au royaume d'Arabie Saoudite, soit du Golfe à l'Atlantique. Pour cette raison, l'Algérie reste un immense douar qui peine à entrer dans le XXIe siècle autrement que par le chas de l'aiguille, ou le bout de la lorgnette. Passe que les médias restent soumis à une surveillance étroite et à une censure qui ne dit pas son nom, ou que la publicité soit distillée à la tête du client, mais le fait d'adosser la surveillance à l'indigence des moyens et des conceptions fait qu'effectivement notre pays accumule des retards considérables dans le seul secteur où mondialement parlant le taux de croissance est le plus fort. En résumé, on peut dire que l'Algérie est le pays des malentendus.