Notre tissu industriel est devenu obsolète parce qu'il ne s'est pas modernisé. Du 26 au 28 février se sont tenues les Assises de l'industrie sous l'égide du ministre des Participations. A une question subsidiaire sur le choix de son département ministériel pour «piloter» ces assisses, le ministère a été désigné ès qualité. Pour nous, nous pensons que nous ne parlons pas de la même industrie, celle qui est proposée est en gestation dans les esprits des «experts». L'autre, devenue évanescente, fait partie du passé et de la façon de gérer précédente. Gérard Debreu, prix Nobel d'économie, parlant des usines et combinats de l'empire soviétique, explique d'une façon décapante, que si les travailleurs ont sué sang et eau pour leur construction, elles ne valent plus rien ou, mieux encore, elles ont un coût...celui de leur démolition. Notre tissu industriel est devenu obsolète parce qu'il ne s'est pas modernisé. Les nostalgies déplacées sont peut-être romantiques, quand elles ne sont pas démagogiques. Pendant plus de vingt-cinq ans, la déboumédienisation, voire la déstructuration du tissu industriel, s'est faite par pans entiers. Personne ne parle des milliers de travailleurs victimes de licenciement secs. Personne ne parle des dizaines de milliers de travailleurs de la filière tissus, victimes des importations chinoises et syriennes. Chacun sait que les industries légères sont devenues si légères qu'elles ont disparu graduellement. Pensons aux semouleries, complexes de détergents, de peintures. Naturellement, notre industrie lourde est devenue une vue de l'esprit. Ici et ailleurs Le monde évolue à une vitesse élevée et nous en sommes encore à nous poser les questions que nous nous étions posées il y a près de 20 ans. La restructuration, la mise à niveau, la liquidation, le partenariat l'ouverture débridée et, depuis peu, une phraséologie absconse où on nous parle d'une façon quasi ésotérique pour le commun des mortels que nous sommes de ZAII, de pôles d'excellence, de zones polyvalentes, de clusters - terme utilisé pour désigner certaines configurations moléculaires- et autre essaimage? La journaliste qui a interviewé le spécialiste ne savait apparemment où donner de la tête, tant notre expert l'avait embrouillée. Nous avons besoin de spécialistes qui nous expliquent simplement les choses. C'est à se demander si nos grands penseurs ont les pieds sur terre ou s'ils parlent réellement de la réalité algérienne. Jugeons-en plutôt: On nous dit qu'il faut installer une zone industrielle intégrée indépendamment du développement des hauts plateaux, ces ZAII seront installées près d'une université où il y a des chercheurs. On ne nous dit pas ce que font et feront ces chercheurs, l'essentiel est qu'il y ait une présence d'une université et des chercheurs qui cherchent, peu importe ce qu'ils trouvent, s'ils trouvent.. en absence de cap. C'est à se demander si nos penseurs ont eu à gérer ou à enseigner pour connaître les profondes mutations technologiques que les enseignants rencontrent au quotidien et qu'ils ne peuvent mettre en pratique du fait que le consensus et que «l'Algérie n'en est pas encore pas là». Sous-entendu «qu'elle grimpe aux arbres» et que les nouvelles technologies lui sont interdites. Ailleurs et à titre d'exemple très actuel, on teste les maisons du futur totalement écologiques bourrées d'électronique, on teste toutes les énergies renouvelables, notamment les capteurs solaires, les écrans tactiles, l'optimisation de la température autant de technologie créatrice de richesse. Pendant que d'aucuns créent de véritables technopoles en donnant à l'université les dispositifs juridiques pour libérer les énergies créatrices, chez nous, on tente, dans la diversion, de faire appel aux expatriés qui ont définitivement choisi de faire leur vie à l'extérieur et c'est tant mieux, il ne faut pas les diaboliser mais il serait plus judicieux de leur demander de travailler en synergie avec ceux qui sont restés au pays. Deux axes majeurs structurant le monde dans les vingt prochaines années ont totalement été ignorés durant ces assises. Tout se passe comme si le monde était un «long fleuve tranquille». Personne n'a parlé du peak oil de l'Algérie,-début du déclin des réserves des hydrocarbures- synonyme d'apocalypse si on continue à gérer le pays de cette façon. Personne n'a fait allusion à l'évolution énergétique du monde et des grands ensembles, de la géopolitique des approvisionnements S'il est un fait que le monde a profondément évolué, quels sont les métiers de demain? Au vu des multiples défis que l'on peut résumer: -Les changements climatiques. Que fait-on pour les conjurer intelligemment? -L'énergie: Quel est le modèle énergétique de l'Algérie dans les 25 prochaines années? Serons-nous toujours exportateurs ou devrons-nous être amenés à importer notre énergie? La question qui se pose est: «Avec quelles devises?» Qui proviendraient de quelle création de richesse? -Les nourritures de demain. Comment allons-nous nourrir 45 millions de personnes dans 25 ans? -La nouvelle division internationale du travail. Que peut faire l'Algérie avec son intelligence pour diminuer sa dépendance technologique? On l'aura compris, ces paramètres n'ont pas été suffisamment débattus, on n'en parle pas dans les conclusions. Savons-nous que chaque fois que l'on achète un équipement que l'on savait faire et produire, l'Algérie finance l'emploi dans les pays qui nous ont vendu cet équipement très souvent bas de gamme, en absence d'une législation drastique de contrôle? Comment reconquérir des marchés en commençant par le «fil à couper le beurre» et aller graduellement vers des équipements évolués? Le partenariat avec l'étranger se comprendra dans ce cas car nous apportons un savoir-faire certes, peut-être rudimentaire mais nous garantissons un marché. Notre outil industriel n'arrive pas à trouver preneur parce que, pendant des années, nous avons fait dans l'immobilisme, il ne fallait pas investir dans l'attente d'un repreneur qui ne vient pas, ensuite, nous sommes passés à la mise à niveau, c'était l'époque des certifications Iso 9000. Apparemment, dans ces assises, c'est une autre approche, il faut mettre de côté les rossignols et aller vers des nouveaux financements dans des zones «choisies», on se demande quels sont les critères? Ces zones seront adossées à des universités de qui on attend des miracles. C'est un marché de dupes. Pour ma part je suis absolument convaincu, c'est à l'université d'être le maître d'oeuvre d'une stratégie, c'est elle qui détient la matière grise, d'autres détiennent le pouvoir, d'autres l'argent. Savez-vous messieurs les décideurs, que l'université devrait être incontournable? Savez-vous qu'elle est capable, à travers ses comités pédagogiques nationaux qui regroupent les 50 filières principales, de penser valablement aux métiers de demain en connaissance de cause et, de ce fait, de faire des propositions pouvant donner une chance dans la division internationale du travail? Nous avons la chance - c'en est une si on sait y faire- d'avoir un million d'étudiants. Les esprits chagrins diront qu'ils ne valent rien. Ce n'est pas vrai. C'est nous tous, en tant que responsables et en tant qu'enseignants, chacun en ce qui le concerne, de n'avoir pas su ou pu tirer le meilleur. Naturellement, quand on paie l'enseignant avec un lance-pierres et que de ce fait, sa dignité sociale est abîmée, il est classé au bas d'une échelle loin des légitimités révolutionnaires, des élus-véritablement élus de Dieu- des ‘‘accabya''. Si de plus, on ne lui donne pas les moyens de travailler correctement et si, enfin, on ne lui fait pas confiance dans la gestion des crédits squelettiques, l'enseignant passe sa vie à galérer à tenter de faire aboutir une idée scientifique qui, en définitive, n'aboutit pas. Il décide alors, «d'investir» ailleurs qu'à l'université, abîmant inexorablement la qualité de la prestation pédagogique et du même coup, sa fraîcheur scientifique. Il devient, de ce fait, un chasseur d'heures supplémentaires, un «conseiller», voire pour les plus malins et dont le sacerdoce à l'université était fragile, un honorable député se mettant définitivement à l'abri, d'autant que les partis politiques se donnent des vernis de légitimité scientifiques en «recrutant» ce qu'Antonio Gramsci appelle les «intellectuels organiques». Savons-nous que l'université algérienne met sur le marché, chaque année, plus de 100.000 diplômés dont plus de 10.000 ingénieurs? Est-ce que nos experts savent que cette force de frappe ne demande qu'à être opérationnelle? Imaginons que ces étudiants de 5e année ont des projets de fin d'étude en phase avec la réalité du pays. C'est 10.000 innovations potentielles par an que l'on pourrait tester dans une manifestation scientifique qui ne doit pas être réalisée d'une façon clandestine, mais être appuyée, voire accompagnée par les plus hautes autorités du pays pour dégager les idées lumineuses qui doivent faire l'objet d'une application avec, naturellement, la disponibilité de tous les circuits qui, actuellement, ne fonctionnent pas (banques, terrains à dégager.). C'est cela la nouvelle vision de l'emploi par la création de richesse. On l'aura compris, nous sommes à des années-lumière des concepts gérés par le haut de «clusters et autres ZAII». L'alpha et l'oméga de l'avenir du pays se joue à l'université. Réduire la dépendance Nous n'avons donné qu'un simple échantillon de la force de frappe de l'université et de ses enseignants. Imaginez que les 6000 médecins fassent des projets de fin d'études pour certains, mixtes, avec les informaticiens, est-il interdit de penser qu'ils inventeront ou réinventeront, ou adapteront ou copieront bref, arriveront à créer, par exemple, un stéthoscope, un tensiomètre numérique -cet appareil a été réalisé à l'Ecole polytechnique, il y a déjà vingt ans, par une équipe mixte médecins-ingénieurs- Après le tensiomètre, nous irons au thermomètre numérique. De petites entreprises capitaliseront graduellement un savoir-faire qui permettra au pays d'être de moins en moins dépendant. Imaginez les 20.000 chercheurs travaillant sur des sujets sous forme d'appels d'offres lancés par une autorité qui a une vue d'ensemble des besoins graduels du pays et des moyens de les prendre en charge. La mondialisation n'est pas une fatalité, il faut y résister intelligemment, tout en s'y préparant parallèlement, par une révolution de l'intelligence qui ne doit plus faire de place à la démagogie. Le moment est venu de faire appel encore, une fois de plus, et au risque d'être redondant, à d'autres légitimités seules à même de permettre au pays de survivre quand la rente ne sera plus au rendez-vous. En définitive, nous sommes un peu inquiets quant aux conséquences prévisibles de ces «assises», à moins que toutes ces idées généreuses, seule espérance pour cette jeunesse, soient prises en charge. De véritables états généraux peuvent être mis en place avec la consultation de cette communauté universitaire apaisée, bien dans sa peau et qui peut, alors, donner la pleine mesure de son talent. Hors de cela, toute initiative qui exclut ou se sert de l'université comme un faire-valoir est vouée à l'échec.