Le lobbying doit, un jour ou l'autre, faire partie de notre stratégie nationale de défense des intérêts économiques et culturels du pays. Parmi les instruments de la guerre cognitive qui détermine, depuis les deux dernières décennies, l'hégémonisme des puissances telles que les Etats-Unis, le lobbying est une arme offensive de première importance. Qu'il s'agisse de guerre de l'information ou d'intelligence économique, il a une implication géostratégique dont nul gouvernement ne peut, aujourd'hui, faire l'économie s'il veut préserver un tant soit peu les intérêts du pays dont il est en charge. En ce début du XXIe siècle, le monde est bipolaire, non pas en termes de confrontation entre deux superpuissances, comme c'était le cas à l'époque de la guerre froide et comme cela pourrait être le cas d'ici quelque temps lorsque la Chine contrebalancera l'influence des Etats-Unis, mais au regard des luttes d'influence civilisationnelle. D'un côté, nous avons une aire qui encourage le libre-échange, tributaire de la mondialisation et de la suppression graduelle des barrières douanières. Ce monde-là, axé sur la société de l'Information, est dans une large mesure lié à l'Internet et à l'e-commerce. Face à lui, il y a le monde des guerres souterraines tributaires des rapports de force entre les puissances et de leurs jeux d'influence, c'est-à-dire de domination. Il est plus difficile à percevoir mais ses effets sont tout autant efficients dans la détermination des rapports entre les pays et entre les peuples. Dans l'affrontement qui régule les échanges internationaux et qui voit des pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil mener une politique de dumping majeur, nonobstant le benchmarking, la contrefaçon et autres subterfuges, il y a un aspect primordial qui a trait à la capacité d'un Etat d'anticiper les règles du business ou de la politique traditionnelles pour s'investir dans les arcanes de la manipulation, de l'information ciblée et autres stratégies de pression sur l'opinion publique pour la rendre sensible, puis favorable à une donne politique qu'elle ignore ou qui l'indiffère. C'est au pouvoir politique qu'il incombe d'initier ce genre de stratégie, que ce soit dans les secteurs de l'économie, de la politique, de la diplomatie etc. On voit mal, en effet, des patrons de PME-PMI ou même de grandes entreprises étatiques, qui ont à gérer dans l'urgence des problèmes suffisamment absorbants, se préoccuper de tels enjeux qui le plus souvent les dépassent. Dans le domaine économique et commercial, la guerre cognitive est telle qu'un pays comme l'Algérie n'a pratiquement aucun moyen de se protéger efficacement. Il suffit néanmoins de se souvenir que le patriotisme doit être aussi économique, comme en témoigne l'existence aux Etats-Unis d'un réseau de cadres supérieurs à la retraite, installé non loin de la Maison-Blanche, qui travaille activement et bénévolement pour la défense des intérêts économiques du pays. A titre d'exemple, ce réseau a eu à son actif la récupération d'une technologie française innovante, celle de la carte à puce, que la France n'est pas parvenue à protéger et à rentabiliser. Cela pour dire qu'à l'heure du libéralisme triomphant, les chevaux de Troie sont innombrables et que là où un pays en voie de développement pense trouver un essor, il risque de se retrouver confronté, au bout d'un certain temps, à des situations dramatiques. Le business consiste à prendre l'argent des subventions là où il se trouve, en profitant de mesures législatives données de nature à attirer les IDE, puis à se retirer en laissant tout ou partie d'une population au chômage. Au mieux, ces investisseurs demeureront à condition de prendre le contrôle de vastes pans de l'économie nationale. Dans le domaine politique et diplomatique, la guerre est d'une tout autre nature. En témoigne le récent épisode de la question sahraouie qui a vu le Maroc actionner pendant des mois la machine de guerre dont il dispose pour emporter la décision du Conseil de sécurité de l'ONU, avalisant son projet d'autonomie. Fort d'une tradition de lobbying mise en oeuvre et développée jusqu'à l'outrance par le roi défunt Hassan II, puisqu'elle n'épargne aucun secteur d'influence, mêlant habilement politiciens, hommes d'affaires, intellectuels, artistes et quidams, le Maroc conduit ce type de guerre selon des priorités et des visées indéniablement cognitives, n'ayant rien à voir avec l'amateurisme de certains de nos adeptes de lobbying qui, faute de savoir comment et quand agir, s'emmêlent jusqu'à obtenir le résultat contraire au but recherché ! Un exemple? Courant mars-avril, le gouvernement marocain a engagé des fonds importants afin de diligenter en Europe, à partir de Londres, et aux Etats-Unis une campagne de presse vantant les mérites de l'occupation marocaine du Sahara-Occidental et mettant en exergue les efforts consentis pour le développement du territoire. Parallèlement à cela, ses relais invisibles ont approché les instances onusiennes comme, aussi, ils ont interpellé les cercles d'amitié américano-marocaine, à dominante juive, pour leur demander de se mobiliser en sa faveur. L'Algérie manque-t-elle singulièrement de savoir-faire en ce domaine ou est-ce la nature même de sa personnalité qui lui fait obstacle dans ce jeu d'influence secret qui obéit à une règle et une seule, laquelle consiste à «ne pas se faire avoir»? A regarder les immenses possibilités qui s'offrent à elle, que ce soit à travers sa diaspora en Europe et en Amérique, ou que ce soit par les nombreuses personnalités de toutes obédiences qui ne demanderaient pas mieux que de se mobiliser en sa faveur, à condition, évidemment, de trouver une once de considération et un peu de reconnaissance, il est clair que seule la volonté de faire manque cruellement. Le lobbying, élément non négligeable de la guerre cognitive, doit, un jour ou l'autre, faire partie de notre stratégie nationale de défense des intérêts économiques et culturels du pays. Et pour cause, l'un des paramètres clés de la guerre cognitive relève de la capacité d'un Etat à situer l'adversaire, ses méthodes et ses objectifs. Partant de là, il lui reste à faire preuve d'anticipation, c'est-à-dire à gérer non pas au jour le jour, pas plus du reste que pour un avenir proche mais bel et bien en fonction du long terme. Mais cela, c'est une autre histoire...