Comme des enfants, on rit et on joue sur scène des rythmes qui modulent entre le mystère et la folie. Un vrai plaisir à écouter et... à regarder! Il n'y a pas de mots pour qualifier le jazz du groupe Thôt. Ou plutôt si, jouissif, vif et contemporain. Une tempête de notes qui se jouent entre quatre musiciens. Un jazz muri et modulé avec des formules travaillées qui glissent parfois vers l'improvisation. Un vrai travail de copains où le plaisir est palpable au bout de chaque geste musclé, mordant, électrique. A vous couper le souffle. Une fluidité extatique qui laisse place par moment au calme qui aspire à la paix et à la rêverie. Le jazz de Thôt est fait d'étincelles, accède à la transe pour retomber en petites notes de douceur. Riffs de guitare, envolées rebelles de saxophone ou encore batterie percussive, le rythme de Thôt module entre le mystère et la folie. C'est le sentiment que dégage ce concert donné samedi dernier à la salle Ibn Zeydoun. Moments de retrouvailles et d'émotion. Ici, le compositeur du groupe et néanmoins excellent saxophoniste, Stephane Payen, évoque le festival Dimajazz de Constantine, parle du jazz qu'il fait, de ses projets et son lien affectif, bien sûr, avec Constantine et Aziz Djemam, à qui il dédiera son concert à Alger. «Un événement qui compte pour nous. C'est le Dimajazz festival. Un jour, Aziz m'a dit que Thôt jouera à Alger, et c'est fait...». Comme les hadras africaines, le jazz de Thôt aspire à atteindre la transe et le repos intérieur... L'Expression: Comment s'est déroulé dernièrement le festival Dimajazz? Stephane Payen: Le festival Dimajazz, à Constantine, c'est assez difficile à décrire. C'était un trop-plein d'émotion, très intense. Pour moi, je ne pouvais pas ne pas y aller. C'était pas grave si on ne jouait pas. Il fallait que je sois là. J'avais besoin d'y aller, pour faire mon deuil de Aziz. Il fallait que j'aille là-bas et que je revois tout le monde. un mois avant le festival, j'ai reçu Zohir et Abdel à Paris. C'était bien. On a parlé de beaucoup de choses, du passé. C'était un joli signe aussi pour l'avenir, parce que d'habitude c'était Aziz que je voyais, à Paris. Là, à travers eux, je le voyais quand même. C'était génial toutes ces soirées, notamment avec Aka Moon. C'était incroyable... Parlez-nous de votre soirée à Constantine? On a joué le même soir que Nguyên Lê. C'était incroyable l'ambiance dans la salle (sourire). Je n'ai jamais vu cela. C'est indescriptible. C'est difficile de dire qu'on a fait un superbe concert et tout, Nguyên Lê connaissait aussi Aziz. Tout ça, je crois, a créé une symbiose entre tout le monde, les musiciens, les organisateurs, les techniciens... La grosse moitié des musiciens étaient venus à Constantine et connaissaient Aziz... Des projets? Des projets, il y en a beaucoup... Déjà, cette aventure à quatre qui ne fait que continuer. Elle ne s'arrêtera jamais. On a un projet qui tourne en ce moment aussi. C'est un septet. Cela a consisté en invitant un second saxophoniste, un second batteur et un second guitariste. Il s'agit de créer une espèce de jumeaux au sein de l'orchestre. Le saxophoniste est quelqu'un qui est très proche de moi. C'est ce qu'on avait déjà fait dans le précédent disque «Thôt Agrandi». On était onze sur ce projet. Comment pourriez-vous définir le jazz que vous écrivez? Je ne sais pas. Ce n'est pas que le mien. Avec le temps, à force de jouer avec cet orchestre, j'ai l'impression... Enfin j'amène une musique qui est la mienne, écrite pour être jouée entre quatre camarades. Ce qui m'importe est de toujours essayer de construire quelque chose, en étant toujours de plus en plus libre. Parfois, je vais les taquiner un peu, les mettre en danger. Ce qui m'intéresse est comment va-t-on communiquer entre nous. Je ne pense pas vraiment en termes d'esthétique qui résulte de ce qu'on fait. C'est quelque chose qu'on fait à quatre. Avec d'autres personnes la musique sonnera complètement différemment. L'esthétique donc importe peu? Oui, l'important c'est l'échange. On organise les choses comme dans beaucoup de musiques traditionnelles où une ligne n'a aucun sens. Le tout c'est comment on communique en musique sur une clav'africaine. Et chacune des voix n'a aucun sens. Ce qui a un sens c'est comment les voix scintillent ensemble et comment les gens à l'intérieur communiquent (chacun) avec leurs voix(e), et leur rythmique variées et parviennent à une communication. C'est ce qui me passionne. Je ne cherche pas à écrire une musique parfaite ou des choses comme ça. Je crois qu'écrire est à la portée de tout le monde. Il suffit de travailler, d'étudier. Prendre des gens et faire de la musique ensemble, c'est déjà un travail de groupe et puis faire un travail sur nous-mêmes pour essayer de communiquer au mieux avec les gens et être bien avec moi-même.