Un trio de jazz ethnique formidable et un groupe Sinouj qui casse la baraque devant un public conquis à l'avance. Une première assez réussie... Préparé depuis des mois, c'est mardi que s'est ouvert le premier festival international d'arabo-jazz à Constantine. Un festival baptisé Majazz (dépassement en arabe) basé sur un esprit de sérieux et de rigueur. «C'est vraiment courageux de la part des organisateurs que de le faire ici. C'est une leçon à donner aux institutions culturelles d'Alger. Je serai vraiment déçu si le public ne suit pas», nous confie Réda Cheikhi du collectif 33 Tours venu représenter la boîte d'édition et de diffusion Belda Diffusion. Le programme de la journée était consacré aux master-class. Un concept d'initiation musicale fort original qui vous permet d'avoir une vision globale des instruments musicaux et comment s'en servir. Baptisé rencontre des cultures, le 1er atelier était dirigé par le luthiste Hichem Achi, le violoniste Arbi Sassi et Stephan Payen, le saxophoniste du groupe français Thôt. Un autre atelier musical tout aussi intéressant est celui de l'informatique musicale qui nous renseignerait sur les différentes opérations et traitements que l'on peut appliquer au son. Qu'il soit électronique ou réel, comme les claquements de mains. Etonnant! A la différence de la salle Ibn Zeydoun, la salle de concert de la Maison de la culture Malek-Haddad qui abrite ce festival, accueille jusqu'à 700 personnes, l'occasion était ainsi offerte à la jeunesse de Constantine pour savourer trois soirées de concerts jusqu'au 27 du mois. Le coup d'envoi de ce mardi fut donné par le trio ethnoacoustic Wajdi Chérif au piano, Habib Samandi à la percussion, tous deux Tunisiens et Fabien à la contrebasse. Le public était convié par la voix de ses organisateurs, notamment Colombine films, à «un moment d'enchantement, de bonheur, de fusion et de couleur». Dans Voyage, titre de son premier morceau, le musicien Wajdi Chérif nous fait d'emblée pénétrer dans son univers musical très riche basé sur la recherche et l'innovation. Il présentera des compositions originales qui se trouve à mi-chemin entre le jazz moderne, la musique classique européenne et les mélodies traditionnelles tunisiennes. Autodidacte au départ, Wajdi Chérif a eu le temps de se perfectionner en fréquentant notamment la Bill Evans Academy où il poursuit des cours d'harmonie avec Bernard Maury. Il a également effectué plusieurs stages de jazz notamment de l'Edim et de la Manhattan School of music au conservatoire d'Amsterdam (Pays-Bas). Il est aujourd'hui salué par la presse comme «une valeur montante et un pianiste qui incarne le talent des grands artistes de demain». Citronius, Mensia en duo avec le percussionniste, Waiting for Paris interprété avec Fabien, puis blued vision (vision brouillée) sont autant de morceaux élaborés à la veine douce et sereine qui n'aurait pas échappé à l'attention d'un public attentif. Habib Samandi, qui maîtrise aussi bien les percussions africaines, tunisiennes que latino-américaines, fera un tour de main génial, avec talent et dextérité en jouant un magnifique solo sur le djembé intitulé Chaos , qu'il dédiera au «peuple opprimé» de l'Irak. Le trio finira sa musique par phorygian Istikhbar basé sur l'improvisation et El guasba (la flûte). Une musique qui rappelle le désert du Sud tunisien. A propos de sa musique Wajdi Chérif souligne: «Je n'aime pas trop appeler cela du jazz parce que pour moi, c'est de la musique. j'ai écouté beaucoup de musiques, je continue à étudier le jazz mais ce que je fait est un mélange entre beaucoup d'éléments. Je préfère appeler cela de la musique tout court. C'est vrai, qu'il y a l'improvisation du jazz mais celle-ci est aussi présente dans les musiques arabes.» Côté projet, Wajdi Chérif compte s'envoler, en septembre 2003, à Tunis pour y animer un concert au Mahrajazz. Un disque enregistré à Paris le mois d' octobre avec Habib le contrebassiste, Diego Edbert et le batteur Jef Boudro sortira bientôt. Pour en savoir plus sur ce pianiste, consultez son site. La seconde partie de la soirée était animée avec brio par le groupe Sinouj, à savoir Djemmame Azziz à la batterie, le leader du groupe Khereddine Dahkal à la guitare, Zahi Amar à la basse, Pablo Hernandez au saxophone, Benyoucef Sofiane au clavier et tabla plus un invité au jeu remarquable, le tunisien violoniste Sassi Arbi. Comme Samandi, les musiciens de Sinouj ont joint leurs voix pour «dénoncer l'absurdité de l'agression de l'Irak». Le groupe qui a aiguisé son talent en multipliant les scènes à l'étranger après Alger et Annaba se sont surpassés ce soir provoquant un tollé d'enthousiasme dans la salle. Des hurlements et des sifflements incessants créant une ambiance unique de fête. Le son mystique de la tabla ou encore l'envolée incisive de la guitare électrique y sont pour beaucoup. Sinouj casse la baraque. Il nous surprend par une musique encore plus sauvage et dynamique. Rock porté par les boucles jazzy et le lyrisme oriental du violon. Captivant et remuant jusqu'à la transe. Le morceau Majazz, clin d'oeil au festival, ouvre le bal suivi de Chahnaz puis Berabe Blues, une composition qui, comme son nom l'indique, évoque les sonorités berbères. Impossible est une composition du saxophoniste Fabritzio Cassol du groupe A Kamooun que les musiciens de Sinouj revisiteront avec beaucoup de bonheur. Le clou de la soirée est ce boeuf improvisé avec Stephan Payen, la saxophoniste du groupe Thôt et Habib Samandi. Du vrai plaisir à voir et à écouter.