Derrière la polémique sur l'apport positif de la colonisation, il y a la surenchère entre Le Pen et Philippe de Villiers. Dès qu'il s'agit de la France et de l'Algérie, peut-on mettre un zest de sérénité dans des relations qui sont par essence passionnelles. La densité des flux humains, des échanges commerciaux, des rapports commerciaux fait, qu'à tout moment, ces relations sont assimilables à celles d'un couple, or, qu'est-ce qu'un couple sans orage et sans scènes de ménage? Ce sont justement ces dernières qui permettent, un tant soit peu, au couple d'avancer, de décompresser. Les problèmes qui ne sont pas abordés de front s'accumulent et finissent par éclater au visage des membres du couple. C'est évident. Les poser sur la table permet de les traiter dans la transparence. Entre l'Algérie et la France, il y a à tout prendre un contentieux historique sur lequel on ne peut faire l'impasse et qui resurgira toujours dès qu'on veut aller de l'avant. Le hic avec la France, cependant, est que c'est une puissance européenne qui n'arrive pas à réagir au niveau de son statut: on sait que la CIA, permet à ses alliés de lui taper dessus, parce que c'est une manière pour elle de montrer qu'elle a bon dos, au point qu'elle peut gérer ce type de relations dans lesquelles c'est elle qui assume le mauvais rôle. Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, il est bon de savoir que pour la France, l'écriture de l'histoire échappe aux historiens, -en partie seulement, car fort heureusement, il y d'éminents spécialistes qui travaillent sur la question- pour laisser place aux lobbies, qui essaient de la monnayer dans le cadre de la politique intérieure française. A titre d'exemple, lorsque le Parlement français adoptait, sous Lionel Jospin, une loi reconnaissant la guerre d'Algérie, cela obéissait moins à une recherche de la vérité historique, qu'à la nécessité d'accorder des pensions aux anciens combattants de l'armée française en Algérie. On ne va pas s'immiscer dans les affaires intérieures françaises, mais force est de reconnaître que toute l'agitation à laquelle on assiste, ces derniers temps outre-Méditerranée, a pour toile de fond la prochaine échéance présidentielle et législative en France. La rivalité entre Sarkozy et de Villepin trouve son prolongement dans la surenchère sur le regard jeté à l'égard de l'émigration, donc par ricochet à l'égard des pays d'origine (Maghreb et Turquie principalement) au moment où la France vient d'autoriser l'importation d'une main-d'oeuvre en provenance des pays de l'Est; d'où la revanche du plombier polonais. Pour la petite histoire, on reconnaîtra deux choses dans la course à l'Elysée : la première est que Dominique de Villepein a bien signifié son intention de ne pas briguer un mandat, la deuxième est que l'outsider, Ségolène Royal, risque bien de jouer les troubles-fêtes et de renvoyer aux vestiaires aussi bien les éléphants du PS que Nicolas Sarkozy lui-même. Revenons au 8 mai 1945: il y a une année, presque jour pour jour, à Sétif, l'ambassadeur de France à Alger avait reconnu, pour la première fois, les méfaits et les injustices du colonialisme. La presse unanime y voyait un prélude à une décrispation entre les deux pays, ainsi qu'un début de rédaction du traité d'amitié. Et pourtant, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis cette date et l'encre ne veut pas sécher qui continue d'alimenter la polémique entre les deux rives de la Méditerranée, au grand dam du président jacques Chirac, qui avait souhaité jeter les bases d'un partenariat d'exception. Surenchère et escalade verbale se suivent pour rendre aléatoire la signature d ‘un traité d'amitié. Un coup d'oeil en arrière nous rappelle que le 8 mai 1945, alors que le monde célébrait l'armistice et la fin du cauchemar nazi, une manifestation pacifiste des nationalistes algériens demandant l'indépendance du pays avait tourné au bain de sang, au mépris des promesses faites dans une déclaration de Roosevelt et Churchill, qui avaient souhaité, dès 1942, le respect du droit des peuples à l'autodétermination. Le 25 avril 1945, il avait été déclaré à la conférence de San Francisco que «les hommes naissent libres et égaux en droit, et que chaque peuple est libre de disposer de lui-même.» Cette prise de position, avait encouragé près de 135.000 Algériens à s'engager aux côtés des alliés dans la guerre contre les armées hitlériennes, en espérant s'affranchir du joug colonial. Mais de même qu'à l'époque l'autorité coloniale fut sourde aux appels des élites intellectuelles et politiques du pays, réunies dans le mouvement des Amis du manifeste et de la liberté (AML), ne laissant aucune voie au dialogue, de même aujourd'hui, les mêmes voix revanchardes surfent sur les émeutes dans les banlieues et les ratés de l'intégration à la française pour torpiller la bonne entente algéro-française. Mais l'un des plus grands méfaits du colonialisme restera d'avoir cédé le pouvoir , à la tête des anciennes colonies, à des régimes corrompus et dictatoriaux qui n'ont pas cessé de piller les richesses de leurs peuples. De même que l'humanisme de la philosophie des Lumières, à la fin du 18e siècle, n'empêchera pas l'apparition et la perpétuation de l'esclavagisme et la traite des noirs, de même la grande civilisation française, qui a donné les Victor Hugo, les Pasteur et les Rimbaud (par ailleurs auteur d'un magnifique poème sur Jugurtha) n'a pas toujours su choisir entre les élites intellectuelles, qui auraient pu amorcer un véritable essor économique et démocratique et le code de l'indigénat taillé sur mesure pour les colons qui faisaient et refaisaient les gouvernements à Paris, en maintenant durant des décennies les peuples colonisés dans la misère, les cantonnements, les déportations, et le servage. De ce point de vue, on ne voit pas où se situe l'apport positif de la colonisation, même si on nous vante, ici et là, la construction de routes et d'hôpitaux, ces derniers étant surtout destinés à la communauté européenne.