Le ministre français des Affaires étrangères, dans une interview à la radio RMC, a affirmé en réaction aux propos du président Bouteflika, que “la politique, cela se construit sur l'avenir, sur la vision, pas sur la rancœur”. Interviewé hier par Radio Monte-Carlo suite aux déclarations de Abdelaziz Bouteflika sur “le génocide de l'identité” algérienne commis par le colonialisme français, M. Douste-Blazy laisse clairement transparaître un sentiment de colère chez les officiels français. Mardi dernier déjà, le député UMP, “pied-noir”, Lionnel Lucas, a qualifié les propos présidentiels de “récidive” et de “délire antifrançais”. “Plutôt que de polémiquer, plutôt que d'employer des mots comme cela, il est important pour l'Algérie comme pour la France, de regarder devant, de construire ensemble, parce que par l'Histoire et par la géographie, nous sommes liés à l'Algérie”, déclare M. Douste-Blazy. Et de poursuivre : “La politique, cela se construit sur l'avenir, sur la vision, pas sur la rancœur.” Des propos qui sonnent comme une sèche réplique, peu diplomatique, à l'adresse du président Bouteflika l'invitant à plus de modération. À partir de Constantine, celui-ci a, en effet, déclaré : “La colonisation avait réalisé un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue, de nos traditions (...) Nous ne savons plus si nous sommes des Amazighs (Berbères), des Arabes, des Européens ou des Français.” Depuis le mois de mai 2005, le président Bouteflika n'avait de cesse de dénoncer la loi du 23 février qualifiée de “cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme” et les méfaits du colonialisme français en Algérie allant jusqu'à faire un parallèle entre les “enfumades” de Guelma et les crimes nazis. Dénonciation assortie de l'exigence d'une “repentance” en bonne et due forme de la part de la France en contrepartie de la signature d'un traité d'amitié. Même s'il a abrogé l'article litigieux, même s'il s'est mis dans la position peu enviable de “demandeur” — il a envoyé deux missives, en janvier, puis en mars, à son homologue algérien lui exprimant toute sa disponibilité à signer le traité d'amitié —, le président français Jacques Chirac n'a pas vu son vœu exaucé. Surviennent alors les déclarations de Bouteflika à Constantine pour faire réagir les Français, et laver, l'“affront” que leur ont fait subir, une année durant, leurs voisins de la rive sud. Le drame est que ce “sursaut d'orgueil” bien français n'est pas sans faire un dégât collatéral. Pour cause, ne se contentant pas de persifler “la rancœur” du président algérien, le patron de la diplomatie française, fait gravissime, n'a pas hésité à franchir le Rubicon en ressortant du tiroir le fameux article 04 de la loi du 23 février vantant le rôle positif de la colonisation pourtant abrogé par le président Jacques Chirac. Prenant à peine quelques précautions de forme en concédant que la colonisation française en Algérie a commencé par l'“horreur” de la conquête, il a vite fait de souligner en gras les “avancées” de ladite colonisation grâce au travail d'instituteurs, d'architectes ou de médecins. Se départissant de son habit de diplomate pour enfiler celui de l'historien, le patron du Quai d'Orsay professe que “dans toutes les affaires de colonisation, il y a eu deux moments : le moment de la conquête qui est toujours un moment d'horreur”, puis “une fois que vous êtes sur la terre (nouvellement conquise), il y a des femmes et des hommes qui travaillent et qui vont instruire des enfants”. Et d'enchaîner : “Il y a des instituteurs français qui évidemment ont fait leur travail, des architectes qui ont fait leur travail, des médecins qui ont soigné.” Cette sortie musclée de Douste-Blazy fera certainement le bonheur des milieux pieds-noirs et/ou de droite et réconfortera M. Lionnel Lucas qui s'est dit, mardi dernier, ne pas comprendre “le silence assourdissant du Quai d'Orsay” face à “la provocation” du président Bouteflika. Etant connu qu'en diplomatie les états d'âme n'ont pas droit de cité, l'on ne peut mettre cette grave déclaration sur le compte de l'aigreur d'un Douste-Blazy non encore revenu de l'échec de son séjour algérois, les 12 et 13 avril derniers. À ce niveau de responsabilité qui est le sien, toute déclaration de sa part équivaut à une position officielle de l'Etat français. Se posent alors bien des questions : la France a-t-elle décidé de reconsidérer la loi du 23 février, elle qui, dans un premier temps, a décidé de l'en expurger du controversé article 04 à l'origine d'une polémique monstre avec Alger ? La suppression de cet article n'est-elle finalement qu'un subterfuge pour donner le change aux Algériens dans l'espoir de les voir signer le traité d'amitié tant espéré par Chirac ? Difficile de répondre. En revanche, il est clair que le peu d'empressement des Algériens à signer le traité d'amitié et les “digressions” incessantes de Bouteflika sur les crimes de la colonisation française conjugués aux pressions de certains lobbys, mais aussi des médias français ont fini par faire perdre patience et calme aux Français. Le Pen et De Villiers se mettent de la partie Le Front national (FN) a demandé, hier, au gouvernement français “d'exiger” du président Abdelaziz Bouteflika “des excuses officielles” pour avoir dénoncé un “génocide de l'identité” algérienne par la France durant la colonisation. Jean-Marie Le Pen a estimé que “prétendre que la France a réalisé un génocide de l'identité algérienne (...) n'a historiquement aucun sens, mais est un insupportable crachat sur notre pays”. De son côté, le président du Mouvement pour la France (MPF, droite nationaliste), Philippe de Villiers, a stigmatisé la “lâcheté” du gouvernement français qui s'est refusé à commenter les propos du président Abdelaziz Bouteflika. ARAB CHIH