Un film iranien sur la Croisette laisse dans l'expectative plus d'un badgé (20 000 au lieu du double), malgré la pléthore de titres, toutes sections confondues. Même attente donc, même si elle est un peu plus exacerbée, s'agissant de Asghar Farhadi qui est arrivé sur la Croisette avec un «Héros» dans ses bagages... Sur le tapis rouge, le cinéaste, belle cravate et costume de circonstance, cache difficilement son émotion en entrée, dans la salle Lumière, avec sa fille Sarine Farhadi (déjà vue dans «Une Séparation»). Des salves d'applaudissements après, le noir se fait et sur l'écran apparaît dans un plan large Rahim Soltani (Amir Jaddidi) un détenu en permission pour 48 heures. Il est filmé à travers un grillage qui sépare le terre-plein à proximité du centre pénitentiaire. Une distance que l'on suppose intentionnelle. D'autant que le cinéaste est double Oscar (2012-2017) et de nombreuses autres récompenses internationales. Les gammes, il connaît donc. Soltani est un prisonnier condamné pour non-paiement d'une dette contractée auprès de son ex-beau-père. Et comme en Iran toute peine prononcée peut-être monnayée publiquement, jusqu'à la condamnation à mort qu'il est possible d'annuler en versant une importante somme d'argent aux parents de la victime. Farhadi nous embarquera alors vers une sorte de rédemption... fiduciaire en mettant sur le chemin de la future fiancée de Rahim, un sac à main, trouvé à un arrêt de bus, contenant une bourse de pièces d'or. Précision: nous sommes à Chiraz où les fouilles archéologiques sont permanentes. Une aubaine! Sauf que leur enthousiasme sera vite réduit par l'acheteur qui leur annoncera le nouveau prix de l'or, bien différent de celui de la veille et certainement du cours du lendemain. Le permissionnaire décidera de restituer le sac à sa propriétaire, en placardant des affichettes partout et sur lesquelles il inscrira un numéro de téléphone, celui de la prison. Une femme ne tardera pas à se manifester. Après les vérifications d'usage, sous l'oeil du directeur de la prison et de son adjoint, Rahim donnera l'adresse de sa soeur chez qui il avait laissé ce précieux «objet trouvé. L'administration y verra de son côté une aubaine pour redorer un blason sérieusement terni par de nombreuses rumeurs de suicides parmi les détenus. La télévision est convoquée et le geste altruiste de ce jeune condamné iranien sera érigé en modèle à suivre dans le pays. Mais le scénariste Farhadi va commencer à compliquer les choses en faisant du créancier un obtus personnage qui refuse tout rééchelonnement et là on découvre que le mécanicien du scénario (dont la réputation n'est pas du tout surfaite) a sorti pour la peine sa plus grosse boîte à outils. Et c'est le début d'une série de rebondissements qui, par leur multiplicité, vont sérieusement émousser la curiosité initiale. Et la réputation de fin scénariste magistralement prouvée avec «À propos d'Elly» (2009) va se retrouver comme un iceberg au temps du réchauffement climatique. Ça fuit de partout, les répétitions squattent le récit. Elles estompent encore plus, toute aspérité critique, politique donc. Farhadi n'occupera pas la place du Commandeur aujourd'hui disparu, Abbas Kiarostami. De même qu'il ne fera pas de l'ombre à Jaffar Panahi dont nous avons pu vérifier, lors de notre rencontre avec lui à Téhéran, en 2017, combien il imposait le respect et l'admiration de ceux qui espèrent (à ce jour) le voir reprendre le flambeau du défunt Kiarostami. Quant à Asghar Farhadi, au mieux il restera apprécié par tous ceux qui aiment les histoires bien ficelées, mais pas forcément par ceux qui, lassés par sa malice avérée, guetteront d'autres horizons persans. Le cinéma est aussi une question d'émotion, cher Farhadi! Pour Nietzsche «la vie est comme ça, elle est«volonté de puissance et qui est donc par nature ambivalente». Asghar Farhadi est né sur une terre zoroastrienne aussi, qui est le centre du roman phare de Nietzsche «Ainsi parlait Zarathoustra» dans lequel le philosophe suggère que Zoroastre, aurait inventé le dualisme moral, sous la forme de la Daeva (les forces naturelles) et de l'Ahuras (la raison, le «bien» et le «mal», la morale). Des connaissances apparemment estompées chez Farhadi ou escamotées par le cinéaste iranien? On ne pourra même pas donner sa langue au Shah, l'Iran étant devenue une République.