Pour sa première participation à la Compétition, Nabil Ayouch a frappé là où on ne l'attendait pas forcément, au cortex, ce réceptacle des sensations les plus élevées du cerveau. Là où se «reset» la mémoire, entre autres, cette bande passante que la jeunesse nord-africaine alimente de mots d'amour et de révolte afin de ne pas désespérer des lendemains. Dans «Haut et Fort» le cinéaste marocain a choisi de retourner dans le vivier des frustrations, mais aussi de quelques rêves, le quartier de Sidi Moumen, un faubourg de Casablanca qui a été longtemps synonyme de poudrière. Et qui a été le décor apocalyptique, pour Ayouch des «Chevaux de Dieu» (2012), film qui aura fourni une très intéressante grille de lecture pour bien comprendre que la violence intégriste n'est pas si spontanée, mais trouve ses raisons dans le mal-être et le sentiment d'abandon, généralisé. En adéquation avec ses opinions, Ayouch a tenté de combler une partie de ce vide en créant alors et à Sidi Moumen, un centre culturel où se prodigue depuis, la pratique de tous les arts, dans un esprit de mixité sociale également. C'est sur ces lieux que «Haut et Fort» a été tourné. Cette fois il ne s'agit plus d'un instantané sur les effets de l'oisiveté endémique, mais d'un combat au quotidien d'un groupe de filles et de garçons pour se dire à travers le rap et le hip-hop. Un mode d'expression vulgarisé depuis les eighties par l'américain Afrika Bambataa qui en a fait le vecteur des revendications noires-américaines. Dans le film marocain, un jeune rappeur, répète à l'envi que «Casablanca est New York et Sidi Moumen le Bronx du Maroc». Avec beaucoup de bienveillance, le cinéaste amène ces jeunes à dire leurs colères et leurs rêves. Il est aidé dans cette tâche par le rappeur Anas (jouant son propre rôle) en formateur débarquant dans ce centre culturel pour apprendre à ces jeunes pousses à faire le tri entre leurs propres besoins et ceux du collectif. Avec beaucoup de doigté, Anas, impressionnant de calme et de fermeté bienveillante les amènera à aborder la religion, le droit des femmes, le patriarcat, la mixité. Et c'est ce qu'ils feront avec brio non sans s'être frottés entre eux et décortiqué leurs contradictions qui relèvent dans la plupart des cas d'un atavisme social. Les salafistes, comme de coutume, tenteront de déranger ct ordre de marche, mais sans résultat. Et Nabil Ayouch, dans un incroyable pied de nez, fera surgir de son chapeau, de la manière la plus inattendue, une battle de hip- hop entre les jeunes, filles et garçons, et de jeunes salafistes qui feront preuve, pour leur part, de beaucoup d'adresse dans leur chorégraphie de rue. Un moment hilare et plaisant destiné entre autres à désamorcer une tension entre des jeunes que rien ne doit séparer durablement.«Haut et Fort» de Nabil Ayouch est loin d'être un documentaire, auquel cas, on reclasserait dans cette catégorie «West Side Story». C'est un film porteur d'une pensée, par Nabil Ayouch et sa coscénariste Myriam Touzani avec le concours du rappeur Anas. Sur la Croisette, il a fait l'effet d'une des plus belles surprises de ce festival et devrait, selon toute vraisemblance, faire également «bouger» le jury présidé par Spike auteur, entre autres, de «Do, the right thing».