De mémoire de festivalier, jamais un palmarès n'a recueilli une adhésion totale, de même qu'aussi loin que remonte les souvenirs, aucune soirée de clôture n'aura été si cafouilleuse à tout point de vue... Les membres du jury donnaient l'impression d'être embarqué sur une nef (des fous) sans gouvernail, son «capitaine», Spike Lee, leur président donnait l'impression d'être «aux fraises». Etrange. Même Tahar Rahim, qui prit sur lui de bousculer l'ordre de «bienséance», en s'installant à côté du cinéaste américain, pour l'aider à redresser la barre, semblait à la peine... Les marins au long cours y auraient vu un signe, d'un avis de tempête en cours. Et ce fut bien le cas lorsque la Palme d'or a été attribuée à «Titane» de Julia Ducournau, qui repart à 37 ans avec une consécration que l'on serait tenté de qualifier de «gore». Il lui aura donc fallu trois films à cette jeune «filleule» de Cronenberg (nous pensons à Crash, entre autres) pour faire valider sa marque de fabrique, le cinéma dit de genre qui va jusqu'à cette monstruosité dont elle se prévaut. Reste que les jurés ont récompensé un film pas du tout parfait, de l'aveu même de son auteur. Enfin et pour être plus juste, ce serait plutôt le duo Spike Lee/Mylène Farmer, qui aurait imposé ce choix radical (euphémisme) au reste des votants. Et cela se voyait presque, sur la scène de l'auditorium «Lumière». La suite ne fut pas heureusement du même acabit, sans pour autant refléter des choix judicieux. Ce serait plutôt le mariage de la carpe et du lapin auquel on assista en direct. Une Palme d'or à «Drive my car», du tandem japonais Ryûsuke Hamaguchi et Takamasa Oe, aurait recueilli l'adhésion de tous, sans aucun doute. Au lieu du Prix du scénario que bon prince Hamaguchi Ryusuke a accueilli avec courtoisie: «Je pense évidemment à l'auteur de la nouvelle qui nous a inspiré ce film, Haruki Murakami. Je tiens également à préciser que je n'ai pas écrit seul ce scénario. Takamasa Oe est scénariste à temps plein, mais il m'incite constamment à écrire. Je lui suis très reconnaissant. S'il vous a plu, c'est qu'il a été bien interprété et je souhaite aussi remercier mes comédiens. Ils ont grandement contribué au succès du film.» Le seul qui manifesta sa mauvaise humeur serait donc Leos Carax, en se portant pâle, à cause d'une rage de dents qui fit monter sur scène, ses musiciens «The Sparks» pour recevoir à la place du cinéaste, le Prix de la mise en scène. Le reste des Prix fut moins surprenant, mais tout aussi brouillon. Tout cela n'empêchera pas la Palme d'or, Julia Ducournau de vivre pleinement ce moment historique pour elle, et son émotion n'était nullement feinte «À l'époque, j'étais sûre que les films primés devaient être parfaits pour être cités sur cette scène. Ce soir, j'y suis et je sais que mon film n'est pas parfait... On dit même du mien qu'il est monstrueux. Maintenant que je suis devenue adulte et réalisatrice, je me suis rendue compte que la perfection n'était pas une chimère, mais une impasse. Et la monstruosité, qui fait peur à certains et traverse mon travail, c'est une arme et une force pour faire repousser les murs de la normativité qui nous enferme et nous sépare. Il y a tant de beauté, de liberté et d'émotions à trouver dans ce qu'on ne peut pas mettre dans une case. Et dans ce qu'il reste à découvrir de nous». PALMARÈS Palme d'or: Titane, de la réalisatrice Julie Ducournau (France) Grand Prix: Un héros, du réalisateur Asghar Farhadi (Iran), et Hytti NRO 6 (Compartiment NO.6), du réalisateur Juho Kuosmanen (Finlande) Prix du jury: Le genou d'Ahed, du réalisateur Nadav Lapid (Israël), et Memoria, du réalisateur Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande) Prix de la mise en scène: le réalisateur Leos Carax pour Annette (France) Prix d'interprétation masculine: l'acteur américain Caleb Landry Jones dans Nitram Prix d'interprétation féminine: l'actrice norvégienne Renate Reinsve dans Julie en 12 chapitres Prix du scénario: le réalisateur Ryusuke Hamaguchi pour Drive my car (Japon) Camera d'or: Murina, de la réalisatrice Antoneta Alamat Kusijanovic (Croatie) Palme d'or du court métrage: Tous les corbeaux du monde, de la réalisatrice Tang Yi (Hong Kong) Mention spéciale du court métrage: Le ciel du mois d'août, de la réalisatrice Jasmin Tenucci (Brésil)