La musique algérienne vient d'être amputée d'une importante racine de sa mémoire... Triste nouvelle. Cheïkha Rimiti est décédée lundi dernier, suite à une crise cardiaque, à l'âge de 83 ans. Après son dernier concert au Zénith samedi dernier, la mamie du raï a tiré sa révérence en disant adieu à son public et au monde de la scène. Elle aura ainsi chanté jusqu'à, comme dirait la chanson...mourir sur scène. Triste nous sommes et orphelin est le raï...On espérait qu'elle revienne, de nouveau, nous chanter ses belles chansons, Charak Gatâ, Ghrast El Nakhla, Nouar, La Kamel rendue célèbre avec une nouvelle version signée, Safy Boutella ou encore, plus récemment, N t'a Goudami, son dernier album sorti en France, en décembre dernier, et fêté en grande pompe au cabaret Sauvage. C'est dire le succès intarissable de cette mamie indétronable qui, faut-il toujours le noter, n'a pas connu que la joie dans sa vie mais a essuyé maintes épreuves et épreuves. La musique qui l'a fait sortir de «la fange» a eu raison peut-être de Cheïkha Rimiti. La fatigue a dû être plus forte qu'elle. Normal, pour cette grande dame qui se donnait pour la musique sans compter. Elle multipliait les expériences et étonnait toujours par sa fraîcheur de vivre, son énergie, son élégance et sa grandeur d'âme. Née à Tessala (village situé près de Sidi Bel-Abbès, dans l'Ouest algérien) le 8 mai 1923, la petite fille prénommée Saïda se retrouve très vite orpheline. De Rimiti, on ne connaît que le vrai prénom car la chanteuse a toujours soigneusement caché son nom officiel afin d'épargner sa famille ; c'est pour cette raison, qu'aujourd'hui encore, elle refusait qu'on la filme ou qu'on la prenne en photo, comme ce fut le cas, on se souvient , il y a quelques années ou elle s'était produite dans une boîte de la capitale....A 20 ans, elle s'installe à Rélizane, là où l'indigence et la misère sont légion. Elle avait commencé à chanter aux côtés de cheïkh Hamada et cheïkh Adda Tiareti. Ce n'est qu'à Oran que son nom d'artiste arriva. Heureuse que les Français apprécient sa voix, elle enchaînera les tournées d'alcool alors qu'elle ne sait pas parler français, mais plutôt en répétant «Ah madame rimiti, ah madame rimiti» qui veut dire remettez une tournée. Cheïkha Rimiti a chanté dans le monde entier, New York, Paris, Londres, Amsterdam, Stockholm, Genève, Madrid, Milan, Berlin, le Caire...Mais reste toujours indésirable dans son pays. C'est que la belle était rebelle et au verbe cru . Elle était une saltimbanque qui vivait la nuit, et son mode de vie fait de nomadisme et d'alcool choquait les âmes prudes. Du politiquement correct, elle n'en avait cure. Alors forcément quand Saïda chantera en 1952 «Charrak Gatta», Cela fera scandale. Cheikha Rimiti osait s'attaquer au tabou de la virginité et comme les poètes, aux paroles étaient rehaussées de sagesse et de vérité, mais ils étaient toujours rejetés et considérés comme des parias, des marginaux.Et pourtant, Cheïkha Rimiti qui vivait dans les rues a dû suivre une bande de musiciens pour pouvoir prétendre gagner son pain à la sueur de son front. Elle était tout simplement quelqu'un de vrai qui chantait le mal-être d'où il vient. Cheïkha Rimiti avait le don d'exprimer le malaise de sa société en chantant ainsi le terroir moyennant notamment son guellal fétiche, qu'elle emportait avec elle partout où elle voyageait. Les détenteurs de maisons de disques sentaient en elle le bon filon, c'est pourquoi, on faisait souvent appel à elle, mélangeant son style musical authentique au son artificiel du synthétiseur et autres rythmes de guitare et de batterie. Et de faire un tube. Comme ce fut le cas l'année dernière sur la compil Raï'nb Fever. La musique, comme elle le disait, était sa vie et c'est elle qui lui donnera cette grande notoriété et cette respectabilité, qu'aujourd'hui beaucoup de chebs et de chebate envieraient. Aujourd'hui, un monument vient de tomber et comme toujours, on ne reconnaît la valeur d'un artiste qu'après sa mort. La raï vient d'être amputé d'une de ses plus importantes racines. Qui lui succédera?.