Le bilan économique et social ne saurait se limiter aux seules données physiques ou monétaires qui n'ont qu'une signification très limitée et peu de portée sur d'éventuelles corrections à apporter en cas d'incohérences. Tout responsable ou analyste doit en effet répondre à quatre questions centrales: -1 La méthodologie qui a présidé à l'élaboration de tous ces calculs et notamment le taux de croissance, le taux de chômage et le taux d'inflation. Morgenstern, un des fondateurs de la statistique moderne, n'a-t-il pas mis en relief le mensonge par la manipulation des statistiques, et G.B.Shaw n'a-t-il pas donné cette image que certains hommes politiques s'accrochent aux chiffres comme les ivrognes s'accrochent à leurs réverbères? -2 Les principaux secteurs dynamisants et la place des secteurs de savoir, fondement d'une croissance durable et ce sur une période relativement longue. -3 A quel coût et quel est le délai de réalisation, le temps étant de l'argent en ce monde en perpétuelle mutation où toute nation qui n'avance pas, recule. -4 Quelle a été du point de vue de la finalité sociale - objet de tout développement, la répartition du revenu par couches sociales pour déterminer le pouvoir d'achat réel? Cela renvoie à la nécessité d'une analyse beaucoup plus complexe de l'économie et de la société, en général, qui implique le dépassement des visions mécaniques de l'équilibre qui est un idéal conceptuel, (comme le principe d'une concurrence totale) vers lequel les politiques doivent tendre, les déséquilibres et le caractère systématique qu'ils acquièrent obligeant à reconnaître qu'ils sont la règle et non l'exception, la réalité montrant la société locale et mondiale en perpétuel mouvement. En effet, à la lumière de toutes les expériences historiques des réformes réussies, il s'avère bien que les équilibres macroéconomiques sont une condition nécessaire mais non suffisante pour l'amorce d'un développement durable et sont éphémères, malgré les sacrifices sociaux, sans les réformes institutionnelles et microéconomiques qui constitueront, pour l'Algérie, le défi majeur, dans les années à venir. Car l'encours de la dette extérieure en 2005 est tombé à 16,4 milliards de dollars US dont 71,2% au titre de la dette publique avec une baisse de 13,9% contre 20,3% en 2004 et l'on prévoit 6% fin 2006 grâce à la politique de désendettement et notamment aux remboursements anticipés, (une dette tendance zéro étant une condition nécessaire mais non suffisante, la Roumanie socialiste avait une dette 0 mais une économie en ruine), cela est dû en grande partie à des facteurs exogènes. Par ailleurs, le fonds de régulation des recettes dont le montant avoisine 1843 milliards de dinars en 2005 et les réserves de change qui dépassent début mai 2006, 62 milliards de dollars US, également dues à des facteurs exogènes, ne sont qu'un signe monétaire: pour preuve, des pays arabes avec une population faible et des réserves de change plus importantes n'arrivent pas à décoller et d'autres pays sans pétrole ont des réserves de change plus importantes avec un niveau de développement élevé, le fondement étant la ressource humaine et la bonne gouvernance. Pourtant, après le rétablissement de la paix et le retour incontesté de l'Algérie sur la scène internationale, toutes les conditions sont réunies pour un véritable développement et relever le défi numéro un, qui est la lutte contre le chômage et la pauvreté, sous réserve de trois facteurs fondamentaux: Le constat après le lancement du premier plan de soutien à la relance économique (soutien et non relance dont il convient de faire un bilan pour voir les écarts entre les prévisions et les réalisations physiques ainsi que les coûts) suivi du second doté d'une valeur budgétaire de 80 milliards de dollars US, (dont 20 milliards de dollars pour le Sud et les Hauts-Plateaux) c'est que l'aspect relance par la demande repose essentiellement sur les dotations budgétaires supplémentaires, en espérant voir éviter comme par le passé de primer la dépense monétaire sans se préoccuper d'une gestion saine des deniers publics et une analyse sereine des capacités d'absorption pour éviter les surcoûts. Car pour la consolidation de ces dépenses, et pour un développement réel, à l'horizon 2008/2009, la relève doit être prise par l'entreprise nationale et internationale, seul lieu permettant la création de la richesse et la création d'emplois. Il s'agira bien de distinguer les emplois rentes notamment des emplois-créés sous forme d'assistanat et ceux créateurs de valeur ajoutée pour calculer le taux réel du chômage. Le PNB, un indice de référence C'est la condition de la stimulation de l'offre par la dynamisation de secteurs utiles rentrant dans le cadre des avantages comparatifs notamment euro-méditerranéens afin d'accroître la compétitivité de l'économie nationale et assurer son insertion dans l'économie mondiale, pour dynamiser les sections hors rente, relativement faibles, alors qu'elles sont la source de la création d'emplois, du fait du poids grandissant de la bureaucratie. Si le PNB ou le PIB par tête d'habitant est un indicateur trop global et qu'il faille lui substituer l'indice du développement humain (dont la Norvège arrive en premier, selon le rapport Pnud 2005) pour avoir une appréciation correcte du niveau de développement, il nous semble néanmoins utile de rappeler qu'on est loin de celui de la Corée du Sud où le PIB 2004/2005 est d'environ 663 milliards de dollars US (reposant surtout sur les nouvelles technologies) pour un PIB par tête d'habitant d'environ 14.162 dollars avec une projection à l'horizon 2010 de 20.000 dollars. En Algérie selon les données officielles, le revenu nominal par habitant est de 3114 dollars US en 2005 mais sans le revenu des hydrocarbures il est à 1700 soit le 1/6 de la Corée du Sud pour le PIB total et hors hydrocarbures il représente 12% de celui de la Corée du Sud qui n'est pourtant que la 10e puissance mondiale, l'Algérie représentant environ 0,04% du PIB mondial. Et le Luxembourg, petit pays, a un PIB par tête d'habitant (arrive en numéro 1 pour cet indicateur) près de 3,5 fois celui de la Corée du Sud et 30 fois celui de l'Algérie. Mais si l'on prend le PIB hors hydrocarbures qui représente environ 40% en 2005, l'écart est à multiplier par deux, soit plus de 65 fois inférieur. D'où l'importance d'une réorientation urgente de toute la politique économique et sociale axée sur le savoir, ère du XXIe siècle qui a remplacé l'ère de la matérialité, ère du XXe siècle, l'Etat ayant transféré sous forme de devises pour les compétences étrangères pour 2005 environ 2 milliards de dollars, montant qui risque de croître si l'on ne prend pas garde à cet exode de cerveaux. D'où la seconde condition. Ainsi, selon une enquête d'avril 2005 réalisée par l'Ipsos pour la communauté économique européenne, auprès de 504 chefs d'entreprise en Europe (dont France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), sur une note de 1 à 10 pour les critères de l'attrait des IDE, les aides et subventions accordées par les pouvoirs publics, contrairement à une idée faussement répandue sont classées à la dernière position (5,4) et la présence d'une main-d'oeuvre qualifiée est notée à 7,5 placée en deuxième position après la proximité du marché des clients et des consommateurs (7,9), au même niveau que la sécurité de l'environnement politique, économique et social (7,5) et la disponibilité des infrastructures et télécommunications. A la lumière de toutes les expériences mondiales, il ne peut y avoir aucun développement durable sans la revalorisation de l'élite du pays dont les bienfaits sur toute société ne peuvent se faire sentir qu'à moyen et long terme, loin des indicateurs économiques de court terme. A ce titre, il faudrait séparer nettement la sphère économique de l'administration et des services collectifs (relevant des outils de la rationalisation des choix budgétaires et non des indicateurs classiques de productivité valables uniquement pour l'entreprise), soumis certes à des logiques à la fois différentes mais complémentaires, le but étant de maximiser la fonction du bien-être collectif de la population algérienne, le nouveau statut du fonctionnaire rentrant dans le cadre du nouveau rôle de l'Etat en économie de marché. Comment ne pas rappeler que les grands économistes classiques ont montré que le fondement de la création de plus-value est le travail et l'intelligence, que la masse salariale dans le PIB dans les pays développés fluctue entre 45/60%, au niveau du Maroc et de la Tunisie le ratio dépasse 30% contre environ 20% en Algérie pour 2005 contre plus de 28% en 1991, que le SMIG est de 100 euros, contre 150/200 euros au Maroc-Tunisie (beaucoup plus pour ce dernier pays avec l'augmentation de 10% du SMIG depuis le 1er mai 2006). Le nombre de professeurs et maîtres de conférence en 2006 en Algérie ne dépasse pas 5000, avec un salaire net en termes de parité de pouvoir d'achat de 520 à 650 euros, à environ un quart (1/4) de celui du Marocain et du Tunisien représentant 95% du Burkina Faso, sans compter les conditions de travail (expliquant l'exode des meilleurs diplômés qui devrait s'amplifier, si l'on maintient le statu quo actuel, avec l'émigration choisie) et ce, pour toutes les universités et instituts à l'échelle nationale. Le nombre de compétences, tous secteurs confondus, alignés sur les experts internationaux potentiels ou réels, ne dépasse pas 20.000, richesse bien plus importante que toutes les réserves de pétrole et de gaz. Pour les fonctionnaires (1500.000), le ratio masse salariale/PIB est d'environ de 10,5% alors qu'il est entre 12/13% pour le Maroc (680.000), Tunisie (370.000), montrant que le niveau de vie est plus élevé dans ces deux derniers pays, beaucoup plus en Tunisie. Pour la France, avec environ 5 millions de fonctionnaires, un cadre avec, plusieurs années d'expérience, a un salaire mensuel d'environ 2800 euros et un cadre dirigeant environ 4000 euros. Les infrastructures ne sont qu'un moyen et l'élément essentiel est le travail utile surtout qu'à l'horizon 2010/2011, il faudra accueillir plus de 14 millions d'élèves du primaire au secondaire et 1,5 million d'étudiants. Visibilité et cohérence dans la démarche Le développement durable impliquant une politique cohérente, ajustant efficacité économique et cohésion sociale, renvoie à la nécessité de concilier la croissance démographique (33 millions d'habitants), une répartition juste du revenu national et la croissance économique (le PIB en termes courants ayant cru de 70% entre 2000/2005) et donc une vision claire et datée de la politique socio-économique afin d'orienter les choix stratégiques. Cela est lié d'ailleurs à la refonte urgente du système d'information à tous les niveaux (donnant un statut particulier à l'ONS) qui s'est totalement effrité, donnant lieu à des querelles stériles préjudiciables à l'image du pays. Cela passe par la réforme de l'Etat, par la lutte contre la bureaucratie et la corruption, par une bonne gouvernance, l'intégration de la sphère informelle au moyen de mécanismes transparents, (contrôlant environ 40% de la masse monétaire en circulation soit selon deux hypothèses de calcul à partir des données officielles - somme colossale de 650 à 850 milliards de dinars -entre 10 et 14% du PNB en 2005)- la réforme du système financier lieu par excellence actuellement de la distribution de la rente, assistant à un déplacement des créances douteuses du secteur public vers le secteur privé pour plus de 40% des crédits octroyés -50% du total- en 2005, du foncier (le cadastre est-il réactualisé?), du système socio-éducatif en façonnant la couche moyenne, pilier du développement à partir d'une politique salariale plus réfléchie. En effet, dans les pays développés, se mettent en oeuvre deux tendances lourdes: les partisans monétaristes où toute augmentation de la masse monétaire entraîne l'inflation, par ricochet le taux d'intérêt freinant par là l'investissement, d'une part, d'autre part les partisans de la régulation pour qui cette augmentation, certes, a des incidences à court terme mais à moyen terme permet la relance de la demande, l'élargissement du marché intérieur et est facteur de développement. Cependant, réellement, on assiste à des combinaisons, les partis dits libéraux ou sociaux-démocrates (les deux s'inscrivent au sein d'une économie libérale) se rejoignant sur l'essentiel du fait du processus de mondialisation. En effet, dans la pratique des affaires, il n'existe pas de relation bi-univoque entre la valeur du capital et la variation du taux d'intérêt, ne pouvant expliquer le prix d'une marchandise en dehors de la répartition, évitant ce raisonnement circulaire de l'explication du taux de profit par le taux de rendement. Les études économétriques récentes, élaborées par le FMI sur l'Algérie (2003/2004), contrairement à la déclaration de certains politiques, montrent clairement qu'il n'existe pas de relation dialectique mécanique entre l'augmentation de la masse monétaire et l'évolution de l'indice des prix.