La spontanéité de son interprétation, la complexité de ses textes lui valent le respect de son public et de ses éditeurs. Rocé sait avec certitude qu'il est français et algérien, mais pour sa nationalité argentine, il n'est pas très sûr «il faut que je me renseigne auprès de l'ambassade». Il faut dire que Roce, de son vrai prénom Youssef Lamine, cumule toutes les diversités et les appartenances. Né en Algérie d'une mère algérienne d'Adrar -noire précise-t-il et d'un père, Juif russe né en Argentine. Ce père agé aujourd'hui de 80 ans, Rocé en parle avec une tendresse de petit garçon. Porteur de valise pendant la révolution algérienne, le père du rappeur a mis son savoir-faire au service du FLN historique pour la fabrication de faux papiers pendant la guerre de Libération, après avoir utilisé son talent pour sauver des Juifs persécutés par l'Allemagne nazie. Dans les années 70, il repart en Algérie et là, y rencontre sa femme, la maman de Rocé. En 1981, retour en France, le petit garçon découvre à quatre ans le pays qui sera désormais le sien. L'adolescence en banlieue parisienne ne se passe pas trop mal, et déjà la musique s'installe dans sa vie grâce aux cours de violon qu'il a suivis tout petit: «Rocé sait lire les notes correctement» comme il le dit. Ni le bac en électrotechnique ni les deux années de philo à la fac ne détourneront son irrésistible élan vers la musique. Mais c'est l'exemple du grand frère musicien qui va l'aider à franchir le pas vers ce monde «d'émotion et de mots» qu'est le rap pour lui. Pourquoi ce genre, alors qu'en 2002, date de son premier album Top départ, le rap est déjà une institution avec ses stars et sa vitesse de croisière bien installée? Rocé devient alors intarissable et dit, ses yeux verts fixant un point quelque part dans le café où nous sommes: «Je me suis aperçu que ça me permettait d'écrire, de jouer avec tout le vocabulaire, de parler de choses et de gens que j'aime». Les textes de Rocé n'ont effectivement rien à voir avec le rap traditionnel, bourré d'expressions argotiques et autre verlan. Presque de la poésie dans une langue patiemment travaillée et des repères à la limite de l'élitisme. «Justement non, se défend le musicien, je veux que mes parents puissent écouter ma musique et mes textes sans en être gênés ,je veux la faire écouter plus tard à mes enfants en assumant. Je fais du rap pour les jeunes mais aussi pour tout le monde, je voudrais arriver à être trans-générationnel.» On peut penser que les icônes de Rocé ne sont pas toujours accessibles à ceux que l'on appelle de façon lapidaire les jeunes des cités : Kateb Yacine,Frantz Fanon, Aimé Césaire, Amine Malouf, Nina Simone et bien d'autres monuments de la lutte pour les droits des opprimés. Parce qu'il faut tirer vers le haut quand beaucoup tentent d'enfoncer les Français, enfants d'immigrés dans leur rôle de victime et d'épouvantail. «Evitons de gâcher nos chances. Les gens comme nous doivent aussi pouvoir tirer les ficelles de la société. Arrêtons de nous donner des rôles de spectateurs. Je sais que c'est très difficile mais nous devons défoncer les portes parce que nous n'avons pas à nous excuser d'être là. Et ceux qui nous demandent de quitter la France n'ont qu'à partir eux s'ils n'aiment pas la France telle qu'elle est aujourd'hui». Oui mais est-ce que le rap comme le foot n'est pas la sortie la plus facile ,la plus évidente quand on en a assez de se faire taper dessus à chaque campagne électorale? Rocé en convient volontiers mais cela dépend du rap que l'on fait: «c'est vrai que des jeunes des banlieues sont devenus des stars grâce à cette musique. On n'en est plus aux origines, à cette musique que l'on faisait en parallèle comme un challenge et non comme du business». La violence, la provocation et le rap comme fonds de commerce, Roce n'en veut pas. Djohar arrive à ce moment là de notre discussion. Nous apprenons alors que cette belle Kabyle, de mère bretonne, participe à l'écriture des textes de Rocé. Djohar (elle tient à cette orthographe) est aux antipodes du cliché de l'émigrée apolitique et superficielle. Bien dans ses baskets, elle aussi partage la conviction de son ami, sortir de la position de victime et se battre pour sa citoyenneté: «nous ne visons pas un rap élitiste, nous sommes conscients que ça bouge dans les communautés et les gens, surtout les nouvelles générations comprennent parfaitement nos messages». Pourtant c'est dur et nos deux amis ne diront pas le contraire. Rocé a eu du mal à trouver la maison de disque pour distribuer son deuxième album. C'est la dimension free jazz qui a convaincu et surtout les invités de l'artiste. On y retrouve le légendaire Archie Shepp au saxophone, Antoine Paganotti du groupe Magma à la batterie et enfin Jacques Coursil le talentueux trompettiste qui émerveilla le public algérois au Festival panafricain de 1969. Avec ce nouvel album Identité en crescendo, Rocé casse encore une fois les cloisonnements musicaux et identitaires. Il confirme sans équivoque sa soif de liberté musicale et de liberté tout simplement, lui avec sa «tête de métèque, de Juif errant, de musulman ; ma carte d'identité suspecte, d'étudiant noir ,de rappeur blanc». Mais comme il le dit lui-même, il ne se prévaut d'aucune souffrance, et la légitimité il s'en moque bien. Rocé, qui a su se faire apprécier aussi bien par le milieu du rap que par celui du jazz ou de l'éléctro, rêve déjà à son prochain album. En attendant, des concerts sont prévus à partir de septembre dans toute la France. Et en Algérie? « Ah oui, j'aimerais bien !»