Et si les Algériens décidaient de demander le remboursement de leurs dettes au lieu de courir derrière la repentance? L'histoire de la colonisation date en réalité de l'époque napoléonienne, quand la grande armée ne trouvait pas de quoi nourrir ses soldats. Deux négociants, Bacri et Bouchenak, ont joué un rôle capital d'intermédiaires entre Bonaparte, lors de la campagne d'Egypte, de ravitailler le Directoire de blé, et Alger. Le contrat est signé par le dey d'Alger. L'empereur a repoussé le remboursement jusqu'à la fin de la guerre. Louis XVIII a remboursé la moitié de la dette et l'autre partie a été bloquée «dans un cadre juridique», dit-on. En 1827, quand le dey reçoit en audience le consul Pierre Duval et lui demande une réponse, ce dernier rétorque que le roi ne peut lui répondre en ajoutant «des paroles outrageantes pour la religion musulmane», selon les dires du dey qui s'emporte et le frappe au visage de son éventail, provoquant l'«incident diplomatique» qui va marquer l'histoire des deux pays. Pendant les trois années qui ont suivi l'incident, la France préparait la prise d'Alger pour faire main basse sur le trésor d'Alger. Elle tenta d'abord de confier cette mission; la prise d'Alger, à Mohammed Ali qui accepta au début puis fit fausse route à cause du navire de guerre que la France lui avait refusé. Mais en réalité, selon l'enquête de Pierre Péan, qui a retrouvé «les traces très embrouillées de l'or découvert dans les caves de la Casbah, où étaient entassés pêle-mêle des monceaux de quadruples d'Espagne et du Portugal, des mocos, des piastres fortes d'Espagne, des boudjous d'Alger et d'autres monnaies; un butin chiffré à plus de 500 millions de francs de l'époque (l'équivalent de 4 milliards d'euros)», lit-on dans le résumé de son livre Main basse sur Alger. Ce fut la première oeuvre que réalisa le maréchal de Bourmont dès la prise d'Alger; s'emparer d'abord du butin. L'occupation a duré 132 ans de pillage d'un pays aux innombrables richesses qui a réussi à se libérer, par des guerres successives de l'Emir Abdelkader, Ahmed Bey et Boumaâza au début, suivies des insurrections des Ouled Sid Cheikh, de Mokrani, des Zaâtcha, etc. Les Algériens ont subi, pendant cette longue période des atrocités terribles tels les déplacements de populations, l'exploitation à outrance de leurs terres, exils forcés, emprisonnements, massacres de populations, tortures, enfumades de tribus entières, destructions de villages au napalm... Depuis le mandat de feu Jacques Chirac, il y a eu des tentatives de réconciliation mémorielle entre les deux peuples, mais jamais personne n'a parlé de remboursement de nos dettes. Et Macron qui vient in fine nous parler de négation de l'histoire comme si l'Algérie n'a jamais existé avant 1830. Lors de sa campagne électorale de 2017, Macron a qualifié la colonisation de l'Algérie de «crime contre l'humanité», avant d'oublier ce qu'il a dit lorsqu'il a pris ses fonctions. Il s'est retrouvé face à une réalité qu'il ignorait, et un système qui a ses constantes et ses balises, que personne ne pouvait outrepasser. Le système français date de l'ancienne époque, de la Ve République, de 1958, de De Gaulle, de Papon, de Salan, quand l'opération Challe jouait à la «pacification» en rasant les villages des Aurès, de Kabylie et de l'Oranie. Macron a agi de bonne foi, avant d'être rappelé à l'ordre. Souvenons-nous de l'initiative de Chirac lorsqu'il a annoncé le «pacte d'amitié et de coopération». Et tout de suite après, le jeune ministre Sarkozy - peu connu à cette époque- a sorti l'affaire de «glorification du colonialisme». Cette sortie a mis le feu aux poudres. Des députés algériens ont présenté un projet de loi demandant à l'ancien colonisateur des excuses officielles, mises vite au tiroir, faute de soutien massif dans un Parlement dirigé au moment des faits par Amar Saâdani. Puis il y a eu des hauts et des bas, de Sarkozy à Macron, entrecoupés par le mandat du dernier socialiste François Hollande. On revient d'un moment à l'autre vers le volumineux dossier de la repentance ou la réconciliation avec l'ancien occupant, comme si notre destin y était farouchement lié. Dans quelques mois, on fêtera le 60e anniversaire de notre indépendance. Dès lors, commencera l'émancipation définitive du fardeau du colonialisme abject.