Ce troisième livre est la première fiction de ce jeune auteur et il s'intitule «Les maux conjugués». Jugurtha Abbou propose aux lecteurs férus de littérature, un récit où s'enchevêtrent, harmonieusement, deux récits. Il y a, d'abord, ce chercheur de mots qui n'est autre que le narrateur du livre. C'est le personnage principal, qui se lance à la quête de mots décrivant les maux: il cherche aussi ceux qui les guérissent. Il déclare avoir ce don dès sa venue au monde, nourrissant au fil des années sa passion des mots. Le narrateur avoue qu'il a appris le verbe depuis l'emmaillotage, il l'a tété au sein de sa mère, il a été bercé par les contes que déclamait sa grand-mère, dans le «haouch» de la maison familiale, au village en été, à la belle étoile, ou en hiver, autour de l'âtre réchauffant leurs mains gelées par le froid de canard, quant, à la voix imposante de sa très chère grand-mère, se mêlaient la mélodie du vent pluvieux et les claquements des glands mis au feu. Le narrateur se souvient comme si cela datait d'hier et en parle non sans nostalgie: «Les étoiles nous accompagnaient en été, il arrivait qu'une étoile filante se faufile du ciel, nous rendant admiratifs et enclenchant en nous l'espoir qu'elle atterrisse dans notre cour, et qu'elle s'asseye à nos côtés». Le narrateur peut bien être l'auteur lui-même ou si du moins ce que l'on pourrait déduire en lisant des passages du roman de Jugurtha Abbou. Les règles de la vie Le narrateur dit avoir été profondément marqué par la poésie de l'insurgé Si Moh Ou Mhand ou encore par celle du poète soufi, Jalal Eddine Rumi, débordant de sagesse et de perspicacité. L'auteur fait dire à son narrateur qu'il a pris sur lui la tâche d'éditer une oeuvre détaillant les règles de la vie. Ce n'est ni un manuel de psychologie, ni un essai politique, ni un livre de philosophie, ni un recueil de poésies, juste des paroles belles et sensées. Jugurtha Abbou s'interroge dans son premier roman: «Sous quelle étoile je suis né? Je ne pourrai distinguer mon astre parmi tant d'autres, mais je saurai affirmer avec force conviction que c'est une étoile littéraire, venue d'une galaxie linguistique. Quand elle s'aligne avec ses semblables, elle forme une constellation phraséologique étincelante. Ma boussole se décline, ses lettres brillent telles de l'or, un N massif et un S splendide. Mon étoile veille sur moi, comme je veille sur chacun de mes mots, je les nourris, je les protège, je les élève jusqu'aux cimes. Parfois, les mots sont comme de l'alcool, certains les disent pour oublier, d'autres pour s'en souvenir...». Emporté par sa vocation, le narrateur traverse les lieux pour prêcher la bonne parole, mosquées et brasseries comprises, allant jusqu'à Boumerdèes au lendemain du séisme dévastateur qui a touché la ville en 2003. Coeur en lambeaux Cet évènement tragique prend une part importante dans le livre, car c'est ce qui fera basculer la vie de l'autre personnage principal, Mehdi, neveu du narrateur. Ce jeune était voué à une vie joyeuse, son père, haut fonctionnaire, ne le privait de rien. L'idylle qu'il vivait avec Houria égayait encore plus ses jours, jusqu'à ce funeste jour... Mais... Houria est parmi les victimes du séisme, non sans ravager la vie de son fiancé. Mehdi a perdu le goût de vivre. Désormais, il n'a qu'une idée en tête: partir. Hélas! Sa demande de visa est rejetée, c'est alors que sa nouvelle amie, Amel, lui propose de partir en harraga, vers l'Italie par la Libye. En ce moment, les évènements prennent une autre tournure, Mehdi et ses compagnons de fortune sont interceptés et conduits en Irak, pour intégrer un groupe djihadiste. Jugurtha Abbou écrit quelque part: l'existence de Mehdi était calme et paisible, jusqu'à cette cassure brusque, qu'il n'attendait guère, et qui, d'un coup de revers, renversa le cours de sa vie. Il est seul et son coeur est en lambeaux, son âme se brise, mais la cassure est silencieuse, sa blessure muette et sa meurtrissure profonde. Il faut peu de choses pour aller du paradis au précipice, de la lumière de l'amour à l'obscurité de la solitude. Comment ne pas perdre son innocence lorsque sa moitié est arrachée à la vie? Arracher Houria à Mehdi, c'est comme arracher à Mohamed Ali son poignet droit, à Maradona sa jambe gauche, ou à Mozart ses doigts magiques. Depuis le départ de sa belle, Mehdi s'adonna à tous les genres de psys, psychotropes, psychologues et psychiatres, vainement. Ni la thérapie lacrymale et ni les soirées amicales ne vinrent à bout de son chagrin inconsolable. Tout comme ces bâtiments, ses projets s'effondrèrent et tombèrent en ruine. À ce moment précis, il voulait être à la place de sa chère, mort et disparu à jamais, loin d'un monde sinistre et ténébreux, qui ne lui faisait toujours pas comprendre pourquoi est-ce que les bonnes âmes disparaissent avant l'heure, cédant la place aux moins que rien. L'écrivain précise que ce n'est pas seulement la vie du jeune qui a changé, celle de ses parents aussi. Son père se sent humilié et sa mère blessée, à tel point qu'elle passe des nuits cauchemardesques. Jusqu'au jour où elle décide de prendre son destin, et celui de son rejeton, en main. Préfacé par Mustapha Benfodil Elle s'envole en Irak, rencontre un ami qu'elle avait connu dans un séminaire, et lui fait part de son souhait d'extraire son fils du marasme dans lequel il était. «S'établit alors un plan majestueux, impliquant la maman de Mehdi et son interlocuteur, des taupes avec lesquelles ce dernier avait pris attache, et...l'oncle de Mehdi, le fameux narrateur qui, des années après avoir sauvé son neveu de l'alcoolisme dans lequel l'a projeté la mort de sa dulcinée, le revoilà qu'il participe à son retour parmi les siens, écrit Abbou. Il faut préciser que ce premier roman de Jugurtha Abbou a été préfacé par l'écrivain-journaliste Mustapha Benfodil. «C'est parfaitement le genre de récits, qui, dès la première ligne, vous entraîne dans sa course haletante, et vous ne le lâchez plus. Ou, plutôt, il ne vous lâche plus. Il vous hante, il vous transporte, vous berce, vous secoue et vous exalte. Cela, à la fois en raison de la densité et de la profusion des évènements qui s'y succèdent à un rythme trépidant avec, à la clé, une histoire pleine de rebondissements. Mais, également, parce que, au-delà de l'histoire qui nous est racontée, il y a un gros travail sur l'écriture. Ce qu'on appelle tout bonnement le style.La plume incisive de Jugurtha Abbou nous gratifie d'un véritable bijou littéraire d'une remarquable force expressive alternant prose lyrique et salves tonitruantes», écrit Mustapha Benfodil dans sa préface. Jugurtha Abbou est psychologue de formation. Il a enseigné à l'université de Tizi Ouzou avant de devenir cadre dans une société publique. Il a déjà publié un recueil de poésies intitulé «L'amour des feux» et un essai politique sous le titre de «Hier, aujourd'hui, demain l'Algérie», édité en 2021 chez la maisgn d'édition Imal de Tizi Ouzou qui a pris en charge aussi son tout premier roman: «Les maux conjugués».