Chargé par le président Kaïs Saïed de rédiger le projet de la nouvelle Constitution tunisienne, le juriste Sadok Belaïd a indiqué lundi que le texte sera expurgé de toute référence à l'islam. Le but, a-t-il dit, est d'ôter aux partis islamistes dont Ennahdha est le porte-voix un fonds de commerce préétabli. Il faut dire que la Constitution de 2014, adoptée par l'alliance regroupée autour du tandem Béji Caïd Essebsi - Rached Ghannouchi avait imprimé dans le premier article de la Loi fondamentale que la Tunisie «est un Etat libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime». On imagine que le propos de Sadok Belaïd va nécessairement entraîner un vif débat au sein de la société tunisienne dont la caractéristique est son appartenance à l'ancrage islamique, de sorte que plusieurs partis ont trouvé leur élan, depuis la Révolution du jasmin, à travers cette référence. Et on a vu combien le poids et le rôle de cette mouvance islamiste est devenu conséquent depuis 2014 au point de marquer en profondeur les choix et les ambitions du pays, nonobstant le rôle de ces partis dans la chute du régime Ben Ali. Désigné par Kaïs Saïed le 20 mai dernier pour présider la «Commission nationale consultative pour une nouvelle République», Sadok Belaïd doit présenter le document au chef de l'Etat la semaine prochaine, le 15 juin exactement, soit environ un mois avant la tenue du référendum par lequel l'ensemble des Tunisiens devront dire s'ils l'approuvent ou non. C'est un lieu commun de considérer que la majorité de la population rejette catégoriquement l'extrémisme et le terrorisme ainsi que l'utilisation de la religion à des fins politiques. Mais l'appartenance de la Tunisie au patrimoine islamique est avérée. Vouloir effacer l'article 1 de la Constitution de 2014 est une chose, gommer purement et simplement toute référence à cette identité en est une autre. Dire que le jasmin s'est fané et que la Tunisie est à la veille d'un débat risqué dont le pays aurait pu faire l'économie, lui qui traverse, depuis plus de deux ans, une crise multiple dont les ramifications ont conduit à un marasme politique préoccupant. Ainsi, la grève des juges a-t-elle débuté, hier, conformément à la décision du conseil national de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), sur l'ensemble du territoire tunisien. Ce débrayage intervient en guise de protestation contre la révocation de 57 magistrats par un décret du président Kaïs Saïed qui les accuse de corruption. Le mouvement s'étend à toutes les institutions judiciaires pour une semaine renouvelable. À la ministre de la Justice convoquée à Carthage, le chef de l'Etat a ordonné des «prélèvements sur les salaires et d'autres mesures», afin que les intérêts des justiciables ne soient pas «touchés». Parmi les 57 juges révoqués, il y a le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM que le chef de l'Etat avait dissous), Youssef Bouzakher, l'ancien procureur de la République, Béchir Akremi, l'ancien premier président de la Cour de cassation, Taïeb Rached et l'ancien substitut du procureur de la République, Sofiene Sliti. Il leur est reproché, entre autres accusations, l'entrave à la justice dans l'affaire de l'assassinat des militants de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ainsi que plusieurs «dépassements». Pendant ce temps, le FMI attend la réponse aux conditions qu'il a posées comme préalables pour l'octroi d'un prêt, devenu vital pour l'économie du pays.