Moulay Hicham est en fuite aux Etats-Unis. Le prince marocain, cousin de Mohamed VI, défraie une fois de plus la chronique et met dans l'embarras le palais royal. Selon diverses informations qui circulent à Rabat, le prince Hicham, second dans l'ordre de succession au trône après le prince Rachid, a quitté le territoire marocain pour s'installer définitivement aux Etats-Unis, fuyant les pressions politiques et militaires qui s'exerçaient sur lui depuis quelques semaines, ainsi que les «tracasseries policières» qu'il dénonce dans une lettre ouverte au ministre marocain de l'Intérieur, Driss Jetou. Le jeune prince, qui aura 35 ans en février, faisait l'objet de critiques acerbes de la part d'une partie de l'entourage du Roi Mohamed VI, via la presse marocaine, depuis qu'il a critiqué ouvertement l'articulation du système monarchique au Maroc et l'influence grandissante de l'armée sur les choix politiques de son cousin le roi. La goutte qui a fait déborder le vase est un entretien qu'il vient d'accorder au quotidien espagnol El Periodico dans lequel il qualifie le plan d'autonomie proposé par le Maroc sur le Sahara occidental, sous le label «troisième voie», de «plan dépassé». Fin décembre, une autre affaire, qui ressemble étrangement à un montage grossier des services secrets marocains, l'avait définitivement écoeuré puisqu'on l'avait accusé d'antisémitisme et d'avoir expédié une lettre à l'anthrax à une personnalité juive marocaine. Depuis cette «fugue» princière, le palais royal se trouve dans l'embarras du fait de l'audience nationale et internationale que possède ce jeune prince frondeur. Déjà, le 21 mai 2001, lors d'une communication au prestigieux centre de l'Ifri à Paris, Moulay Hicham avait dénoncé les limites de la fonction monarchique qui avait disparu, selon lui, avec la mort de Hassan II, en proposant un nouveau «pacte monarchique», synonyme de moins de pouvoir pour le roi selon le modèle de la monarchie démocratique en Espagne. Il récidivera en juin avec une tribune publiée par le quotidien Le Monde où il y fustige «l'attentisme» et «le recul de la démocratie» dans le royaume. Mais ce qu'on pardonne le moins à Rabat, ce sont les déclarations de ce jeune prince sur le rôle de l'armée marocaine et son influence importante sur Mohamed VI. Moulay Hicham critique le poids institutionnel de l'armée royale, au sein de la vie politique marocaine, mais surtout se plaint des persécutions policières, de filatures de la DST marocaine du général Hamidou Laanigri depuis sa mise à l'écart de la famille royale. Les services marocains s'obstinent, depuis quelques semaines, à le faire passer pour un prince indigne de la famille alaouite qui multiplie les frasques et dont les opinions politiques visent à déstabiliser le régime. Or, ce qui se joue aujourd'hui au Maroc est nettement plus complexe qu'un énième épisode de «Dallas» version chérifienne puisque, pour de nombreux observateurs «le prince rouge» pose les véritables questions quant à la gestion du royaume. Avant de quitter Rabat où il était pratiquement en «résidence surveillée» du fait de la surveillance constante des services secrets marocains, Moulay Hicham tire un baroud d'honneur. Harcelé par la police, humilié par Mohamed VI qui lui refuse l'accès légitime au palais royal, menacé dans son intégrité et celle de sa femme et ses deux enfants, le prince Hicham laisse le royaume s'embourber dans ses contradictions. Pour de nombreux spécialistes du Maghreb dont Remy Léveau, le prince marocain représente une véritable alternative démocratique au fonctionnement sclérosé de la monarchie. Ses interventions sur la politique marocaine au Sahara occidental remettent en cause les options d'autonomie prônées par Mohamed VI et les militaires marocains. Mais Moulay Hicham faisait également peur à cause de ses contacts avec une partie de l'armée marocaine d'où les relents de coup d'Etat qui circulaient à Rabat ces derniers jours. Ainsi, un des derniers contestataires crédibles de la monarchie quitte, obligé, un pays où il ne se sentait plus en sécurité. Il écorne encore plus l'image d'un Maroc qui a fait la démonstration de sa volonté à demeurer un système répressif, même à l'égard des membres de la famille royale. Si le règne de Hassan II a été qualifié d'années de plomb, celui de son fils est l'équivalent de chape de plomb.