S'il est une soirée musicale qui restera gravée dans la mémoire de nombreux mélomanes présents à la salle Ibn Zeïdoun, c'est celle organisée, jeudi dernier, par l'Association Les Amis de la Rampe Louni-Arezki et de Sidi Abderrahmane à la mémoire de Cheikh Hadj Omar Mekraza. Hormis les quelques dissonances induites par certains relais des appareils idéologiques d'Etat peu enclins à faire la distinction entre une activité culturelle digne de ce nom et des élucubrations lourdes de sens, la soirée en question a produit des effets extraordinaires et suscité de grandes et profondes émotions. Bien sûr parmi une assistance des grands jours dont le moins que l'on puisse écrire est qu'elle est demeurée à la fois agréablement surprise et éblouie. Un état d'âme que des applaudissements nourris et des youyous autant stridents que pathétiques n'ont pas manqué d'amplifier. Il est vrai que cet hommage à un des chantres, parmi les plus prestigieux du chaâbi, ne pouvait intervenir autrement, surtout avec la participation autant remarquable que remarquée de chanteurs attitrés comme Maâzouz Bouadjadj et Abderrahmane Koubi. Non pas que l'ensemble de musique classique algérienne cher à Smaïl Henni, El Inchirah pour ne pas le désigner et Cheikh Amirouche Mimouni eurent démérité, mais la prestation des deux vedettes a comblé d'aise le mélomane le plus difficile à la faveur d'un concert de haut niveau. Un concert qui n'a pas été sans rappeler à mon bon souvenir Cheikh Hadj Omar Mekraza, un des plus grands disciples du cardinal. Ankaoui, Omar Tikhbizine, c'est ainsi qu'on le surnommait à Bab Jdid où je suis né, avait été très vite remarqué par Cheikh Hadj M'hamed El-Anka qui, appréciant énormément chez lui l'exécution rythmique, l'intégra très vite dans son orchestre. Cheikh Hadj Omar Mekraza voit le jour le 11 février 1924 et décède le 6 mars 1986 à Alger à l'âge de 62 ans. Enfant de la Casbah et chantre incontestable du terroir citadin, je ne vois vraiment pas les raisons qui poussent Abdelkader Bendamèche à lui trouver des filiations kabyles, et d'Azeffoun plus exactement, alors que le registre dans lequel excelle l'inoubliable interprète de Enta seyyède appartient indiscutablement au patrimoine musical algérois. Dangereux raccourci que celui souligné, qui tente chaque jour davantage de contribuer, par ignorance, arrière-pensées ou opportunisme, c'est selon, à dépouiller le Vieil Alger de ses meilleurs attributs, poussant l'outrecuidance jusqu'à faire passer Hadj M'rizek, Abderrahmane Azziz, Mohamed Lamari, Hadj M'hamed El Anka, et Hamidou de chantres kabyles alors qu'ils sont les produits de l'urbanité, de la citadinité. C'est à Alger aussi que le chanteur auquel il est rendu hommage enregistrera ses premiers microsillons, plus précisément trois 45 tours dont les titres sont fort appréciés à l'époque : Ya ahl el-haoua, d'après un poème de Mohammed Ibn M'sayeb, Ya malik mlouk rabi, d'après Lakhdar Ibn Khlouf et enfin, y a rab el-ibad. Dans le dépliant élaboré à l'occasion de l'hommage par l'Association Les Amis de la Rampe Louni-Arezki et Sidi Abderrahmane où il signe le portrait du chantre disparu, Abdelkader Bendamèche rapporte que la phonothèque de la Radio algérienne compte pas moins de six concerts animés par Cheikh Hadj Omar Mekraza: Rbi'îya (printanière) de Mohamed Bendebbah ; Mal Djefni et Lemta nchouf taha de Cheikh Touhami ; El-Meknassia et Taouessoul de Sidi Kaddour El-Alami et El Khezna sghira de Lakhdar Ibn Khlouf. Toujours à propos du chantre, Abdelkader Bendamèche retiendra de l'interprète de Ya lghafel sa finesse dans la percussion et son sens inné du rythme. Si d'aucuns l'appelaient, à juste titre le métronome, c'est loin d'être usurpé, fait remarquer la même source. «Pour l'équilibre qu'il maintenait au sein de l'orchestre, l'assurance qu'il apportait à Cheikh Hadj M'hamed El-Anka dans l'interprétation de ses poésies et aussi aux autres musiciens qui se sentaient libérés pour donner libre cours à leur virtuosité.» A noter que l'Association Les Amis de la Rampe Louni-Arezki et Sidi-Abedrrahmane a été créée le 24 mars 2000 dans le but de rassembler tous les amis du quartier, qu'ils soient natifs, anciens ou nouveaux résidents, ou ayant fréquenté le quartier ou ses établissements primaires et secondaires. Les objectifs de cette association se réclamant de la société civile consistent à faire revivre et à développer en son sein, et tout autour, les valeurs de fraternité, d'amitié et de solidarité qui unissaient jadis le peuple algérien. Parmi ses objectifs, il est aisé de citer la revalorisation du patrimoine propre au quartier, l'écriture de son Histoire et la réhabilitation des figures culturelles, artistiques et sportives.