Nacira Zellal est professeure des universités depuis 32 ans, enseignante depuis 48 ans et directrice de la seule entité de recherches en orthophonie en Algérie, dont elle est fondatrice de la chaire, du métier et de la recherche, en termes de neurosciences cognitives. Dans cet entretien, elle répond d'une manière académique et pédagogique à la fois sur le débat autour de l'enseignement de l'anglais et les priorités qui s'imposent dans ce domaine. L'Expression: Le débat sur l'enseignement de l'anglais est investi par les «néophytes», voire des étrangers du domaine relevant de la pédagogie et des neurosciences. Vous êtes professeure et directrice de la seule entité de recherches en orthophonie en Algérie et spécialiste de l'acquisition chez l'enfant. Quelles sont vos appréhensions par rapport à ce débat de «clercs»? Professeure Nacira Zellal: Deux articles parus le 06/08/2022 m'interpellent: «Entre idéologie, pédagogie et universalité, quelle place de l'anglais dans nos écoles?» L'Expression et «Algérie: un million de livres d'anglais pour les élèves du primaire» Dzair Daily. Dans le premier nous lisons: «L'acquisition d'une langue d'enseignement doit répondre à une seule exigence, la nécessité de s'inscrire dans la modernité scientifique. Le Président a ordonné d'adopter la langue anglaise à partir du cycle primaire, après une étude approfondie menée par des experts et des spécialistes. Il a souligné, à ce propos, la nécessité de réviser les programmes éducatifs en se référant à l'esprit pédagogique qui a permis la formation, depuis l'indépendance, d'une élite dans diverses spécialités». Le langage s'acquiert et la langue s'apprend. La dichotomie saussurienne langage/langue est si vieille! Je voudrais connaître le CV de ces «experts et spécialistes»: sont-ils sortants des neurosciences et de la linguistique cognitives? L'élite d'avant la RES des années 70 n'était pas soumise aux méthodes audiovisuelles de la structure phrastique, illustrée par des images, utilisées pour démutiser l'aphasique comme pré-rééducation à la rééducation par le texte cognitif. Dans le second, nous lisons: «D'après le ministère de l'Education, ledit livre contient un programme scolaire solide. Il comprend des leçons adaptées aux élèves âgés de 8 ans suivant leur niveau de connaissances. En veillant à créer une harmonie entre les textes, les images et les illustrations. Cela, afin de bien former l'apprenant à la lecture. Le but de cette initiative est que l'élève acquiert une bonne base de la langue». Or, la langue c'est l'écrit abstrait! Lire ce n'est pas reconnaître des mots illustrés! Comment «harmoniser le texte (de quels auteurs consacrés?) et des images? Les images c'est pour de l'audiovisuel qui est pour l'oral concret! L'enfant peut absorber 100 contes en un jour! Comment l'enfermer dans «le (un seul) manuel»? Le LMD est importé de France, je propose donc d'en importer aussi la base, il suffit d'un click sur les liens réservés aux listes d'oeuvres enseignées au primaire, en France. L'acquisition du langage chez l'enfant conditionne-t-elle l'apprentissage d'abord ou le recours à l'enseignement de la langue tous azimuts? Le matraquage par la phrase pour aphasiques, par un «manuel», est budgétivore, de par son impression en milliers d'exemplaires; la littérature du livre culturel existe et elle est gratuite d'accès! Il suffit de créer des conventions interscolaires et de prendre des bibliothèques, 200 livres culturels/semaine, de contes, de pièces de théâtre, de poésies, puis de les faire circuler en un roulement, à travers les écoles. Organiser des journées lecture, comme de mon temps à l'école primaire des années 50-60, sera si captivant et motivant pour l'écolier! Et, sur la base de quels critères donc «le niveau de connaissances» de l'enfant de 8 ans est-il déterminé par les «neuropsycholinguistes» du MEN? Son administration utilise-t-elle pour être scientifique, les tests d'acquisition de Borel Maisonny, fondatrice du secteur des troubles d'acquisition (1950)? L'écolier algérien est un universel et s'il souffre d'une dysphasie, il consulte alors, l'orthophoniste! Ainsi, concernant le secteur des neurosciences scolaires, je voudrais que notre président de la République considère l'avis et l'expertise bénévoles mais patriotes, du spécialiste du développement cognitif et de l'acquisition du langage chez l'enfant. L'école est une affaire de pédagogie née de la psychologie et de la linguistique cognitives. La psychologie cognitive a acquis, aux USA, un statut que n'a pas acquis la médecine, celui de «Noble Science», parce que son objet est l'intelligence et que l'économie d'un pays dépend de son intelligence humaine, économique et artificielle. Vous voulez alerter le président de la République sur l'enjeu de l'enseignement des langues en général et l'anglais en particulier. Pouvez-vous être plus explicite? Ma collègue le Dr Leila Seddiki m'a appelée très alarmée en ces termes: «S'il te plaît, informe Monsieur le président de la République au sujet des neurosciences cognitives que tu crées, conseille-le par tes productions convaincantes et mondialement reconnues; informe-le notamment au sujet de l'éducation scolaire et de la recherche scientifique, qui coulent dans leur belle mort, alors qu'il s'agit du vecteur du développement et de la relance socio-économique d'un pays, ce que la Chine et la Russie ont compris!». Ce qui m'attriste et que j'ai signalé à Monsieur le Président, c'est que son conseiller du secteur a détruit tous mes projets neuroscientifiques lorsqu'il était directeur des enseignements puis secrétaire général, il ne pourra donc pas s'exprimer au sujet de l'éducation scolaire ni au sujet de l'enseignement supérieur, qu'elle prépare! Voici reformulées mes propositions. S'il en tient compte, notre Président gagnera son pari de concrétiser le changement scolaire et universitaire: de 0 à 6 ans, l'enfant joue. Il aime les activités ludiques et satisfaire sa goulue curiosité, qui lui permet de découvrir et de créer le neuf, l'inconnu, l'abstrait. Or, la phase du concret, du connu est acquise à 18 mois, l'écolier n'a donc pas besoin de la réapprendre à l'école, elle l'ennuie, ne le motive point et il échouera. L'école le bloque dans la phrase audiovisuelle, jusqu'à 11-12 ans, c'est donc une régression cognitive forcée. L'école c'est la langue porteuse des apprentissages, premier précepte coranique: «Lis et apprends». Les stades du développement de l'intelligence de 0 à 15 ans, dont le fondateur est Piaget sont universels, ils valent pour l'enfant algérien. À la tranche d'âge de 4 à 8 ans, l'enfant acquiert «le schéma narratif» (il aime le merveilleux du conte et pose beaucoup de questions) et Piaget décrit à ce stade «la fonction hypothético-déductive» et «la pensée logico-mathématique»; il raisonne, il traite cognitivement l'abstrait, pour découvrir et créer, par sa propre expérience du monde, son réel. En suivant votre approche tellement étayée et approfondie, on comprend que l'éducation scolaire est la matrice de toute formation cognitive chez l'enfant avant l'apprentissage des langues. S'agit-il de la neuropédagogie? L'enfant est prêt à 6 ans à quitter le langage pour accéder aux règles de l'écrit, du texte d'auteurs consacrés «la cohérence et la cohésion», qui font le raisonnement, vecteur de créativité économique et technologique exportable, dans un rapport d'égalité avec les autres pays, pour réduire l'importation, vecteur de corruption. Il faut le mettre en interaction positive et son intelligence se développera, quel que soit son milieu social. Tout est question de neuropédagogie. J'ai eu la chance, pour arabiser l'orthophonie et l'exporter en pays arabo-africains, d'avoir mis à profit mes apprentissages à l'école française et appris la langue arabe au lycée, par la poésie, la pédagogie structurale était jumelée avec la pédagogie cognitive, l'école était donc moins dangereuse, que depuis la RES des années 70... L'introduction de la littérature enfantine dès la première année scolaire donnera à l'enfant algérien, la compétence cognitive de créer l'hypothèse pour déduire ses thèses infinies, innombrables (hatta lellahd). Par son intelligence créative, il construit son intelligence propre, sa personnalité, il ne sera donc plus un assisté et il développera son pays, par ses idées. Donc, quel que soit le signifiant, chinois, français ou anglais, il faut juste remplacer à l'école non plus un signifiant par un autre, mais la phrase structurale de l'échec scolaire, par le prolongement pédagogique de la linguistique cognitive, celle du texte. Les méthodes audiovisuelles, qui sont, à ce jour utilisées dans notre école, produisent le client, l'assisté, le non-productif car dans la phrase concrète, il n'y a rien à traiter. Ainsi, si l'anglais est enseigné par «La fiche structurale du maître», lequel n'est pas un Auteur de Textes, on tombera alors dans la même situation que celle actuellement vécue. Quelle contribution concrète pourrait apporter la psychologie cognitive dans ce domaine délicat et qui engage l'avenir des générations? J'ai eu la chance de lancer mes études par une licence d'anglais avant de poursuivre en psychologie, puis en sciences du langage et en orthophonie. Ceci me permet de surfer dans les revues et Congrès mondiaux. Introduire très tôt l'anglais à l'école est en théorie, une chose positive. Il faut l'introduire par le texte: la littérature enfantine sert à cela! En outre, la psycholinguistique universelle enseigne le fait que lorsqu'on maîtrise les règles de l'écrit dans une langue, on les transfèrera aisément, dans n'importe quelle autre langue, car elles sont abstraites. Après, ce ne sera plus qu'une question de traduction. L'enfant n'a pas conscience des différences entre les systèmes linguistiques, il répondra à un anglophone en anglais, à un francophone en français... L'implication méthodologique, ici, sera qu'il faut le mettre en interaction avec un maximum de systèmes linguistiques différents, le plus tôt possible; en pays avancé, le sport est en français, les mathématiques en allemand, la géographie en anglais...; sans compter qu'une langue vit et vaut par son signifié: celles de Shakespeare et de Voltaire sont des langues de science, comme le chinois et le russe. Selon ses propos, c'est l'accès à la science, qui est visé par notre président. Il faut donc juste le conseiller en expert du domaine, d'intégrer l'école algérienne, dans la pensée universelleneuroscientifique, en anglais ou autre. Les lieux de stage professionnel du futur cadre socio-économique (Sonatrach,...), les rares compétences scientifiques qui ne se sont pas exilées... sont à dominante linguistique française. Il faut donc aussi concilier anglicisation et tissu socio-économique. Quel est le défi majeur qui se dresse face aux chercheurs algériens pour pouvoir asseoir une démarche scientifique et pédagogique à même de rompre avec les expériences qui ont montré leurs limites pour ne pas dire qu'elles sont devenues obsolètes? Une langue vaut par ses concepts dits «jargon» philosophique, médical... Il est donc urgent aux chercheurs, de poursuivre les travaux inaugurés et les projets réalisés par l'URNOP, à savoir dictionnairiques-terminologiques, inscrits dans toutes les langues de spécialités, en faisant de l'Intelligence artificielle leur allié. Aucun dictionnaire terminologique anglais/arabe ou français n'existe, alors que nous avons l'ISAT, des dizaines de Départements de traduction et des Centres de recherches de linguistique arabe. Pour conclure, je propose à Monsieur le Président et à ses conseillers, parmi lesquels figurent des hommes de culture et de science, de consulter les moult articles, parus en été 2015, pour y voir que, par un parcours épistémologique connu et reconnu, mon expertise au sujet de la langue au primaire, le dangereux projet de «la derdja scolaire» a pu être bloqué et évité de justesse: il allait davantage détruire l'enseignement linguistique scolaire, par lequel l'écolier apprend au moins que [tchina] à l'oral c'est [burtuq?la] à l'écrit. Ils sont réunis dans mon CV publié dans le site de l'URNOP d'Alger 2, majestueusement, rangé dans son Produit et son Historique biographique, en première position des 12 Unités de recherche du pays, sur site officiel du ministère.