Lui rendre hommage aujourd'hui c'est plus qu'un devoir, c'est une «nécessité existentielle». Si on se met à fredonner Ya'L Maqnin Ezzine, d'aucuns reconnaîtront la touche authentique de l'authentique Mohamed El Badji. Disparu il y a de cela trois ans, ses amis, sa grande et sa petite famille se sont rappelé de lui. Un hommage lui a donc été rendu avant-hier à la salle El Mougar à Alger, sous le parrainage du ministère de la Culture. Mohamed El Badji. Un nom complet d'un artiste complet. Un talent qui vaut son pesant de mélodies. Et, par dessus tout, un homme au sens plein du terme. Que dira-t-on aujourd'hui encore de lui? Lui pour qui le sobriquet de Khoya El Baz va à merveille? Que reste-t-il à dire à propos de celui dont le nom est inscrit en lettres d'or sur les registres du chaâbi? Rien ou presque. Rien parce que ce sont ses chansons qui parlent de lui. Ce sont ses musiques qui en disent long sur leurs créateurs. Voyez comme l'art est paradoxal à l'évidence: le créateur s'en va et la créature reste. En art, l'oeuvre prend toute seule sa destinée en main. Elle n'a nul besoin de celui qui l'a élaborée car elle sait se défendre contre vents et marées. Et puis, il n'y a que les choses justes qui demeurent. Le reste, ce n'est que de «la littérature de bazar». Que reste-t-il à dire de ce géant? Rien ou presque. Presque? Que oui ! Au demeurant, c'est de notre devoir, nous les vivants, de parler de lui, comme de tous ces génies qui ont porté haut, très haut même, la chanson chaâbie. Lui rendre hommage aujourd'hui c'est plus qu'un devoir, c'est une «nécessité existentielle». Et quelle est la meilleure façon de le faire si ce n'est de monter sur scène et de chanter ses chansons phares, comme ont fait les Sid Ali Laqam, Nacer Aya et les autres qui ont tous tenu à revisiter le riche répertoire du maître. Ils ont tous chanté sous l'oeil vigilant du portrait d'El Badji, sur lequel figure l'homme portant un bonnet noir et une veste shanghaï de couleur bleue. Le tableau est posé sur une chaise au pied de laquelle on peut apercevoir la compagne de Khouya El Baz, sa guitare. Elle qui a su, mieux que tout autre objet ou sujet, sentir les angoisses et les mélancolies de l'artiste. Elle qui a porté, comme un faix, le poids de ses solitudes. Elle qui s'est donnée à lui presque sans retenue. De lui, et tout au long du chemin qu'ils ont fait ensemble, elle garde les caresses d'un amant qui a su génialement la transporter dans les vallées les plus éloignées de l'extase. Aujourd'hui, qu'elle est restée seule, elle se rappelle sans aucune ombre de doute de la chanson qu'ils ont «concoctée» ensemble: Ana Wanti Ya Guitara (moi et toi, ô ! ma guitare), une chanson très chère à El Badji. C'est en effet là où l'artiste s'exprime le mieux. Et la guitare a de quoi porter encore le deuil de son amant. Qu'a-t-on à dire après tout ce qu'on a raconté? Il reste à rappeler que Mohamed El Badji est né le 13 mai 1933 à Belcourt, à Alger. «Il a écrit et composé des chansons que d´autres diront: Amar Zahi, Aziouz Raïs, Rédha Doumaz et des dizaines d´autres. Son emprisonnement à Serkadji durant la guerre de Maqnin Ezzine. - Avant une voix rocailleuse et profonde, son chant reste une quête permanente d´échapper à la douleur». Que reste-t-il à dire de Khouya El Baz? Il nous reste à lui dire que ses chansons sont affranchies du temps et qu'elles veillent sur son âme. Repose en paix artiste!