«Les Franco-Algériens ont droit à une représentation politique.» Sophia, fille d'un ouvrier syndicaliste communiste, originaire de Béjaïa, refuse de servir les manoeuvres électoralistes au sein du PS. A 28 ans, cette diplômée de sciences politiques de Grenoble se bat et crée même son mouvement pour contrer les lobbys. L'Expression: Dans votre circonscription, la XXIe de Paris, les choses semblent mal se passer pour la désignation d'une candidature aux législatives de 2007. Qu'en est-il exactement? Sophia Chikirou: Pour comprendre la situation, je suis obligée de faire quelques rappels concernant le fonctionnement du PS dans cette affaire. Le 1er juillet à la convention du parti et l'adoption du projet socialiste pour les élections, il y a eu un débat houleux et beaucoup de contestations des candidats des minorités visibles. Il fut décidé alors d'un vote en septembre pour départager les candidats de la XXIe circonscription C´est-à-dire vous-même et votre adversaire guadeloupéenne? Tout à fait. Je continue l'histoire de cette crise. En dépit de ce rendez-vous de septembre, le 2 juillet, le lobby «Equité» (lobby antillais) s'est réuni pour réclamer la désignation de Pau-Langevin, la Guadeloupéenne au motif de la sur-représentation des «beurs» au détriment des Noirs. Les choses se sont dégradées quand au bureau national du PS, Bertrand Delanoë (maire de Paris) et Harlem Désir ont appuyé cette demande, au nom de la représentation des Antillais résidant dans la métropole. François Hollande a alors reporté la décision à mardi prochain après de nouvelles discussions. Mais pour quelle raison votre candidature n'est pas soumise au vote des militants? Parce que je serais désignée haut la main. C'est pour cela que Delanoë propose un vote avec une seule candidature, Mme Pau-Langevin. J'appelle cela une parodie de démocratie et je ne cautionnerai jamais ce type de pratique. J'ai dit à Delanoë que s'il voulait raisonner en termes de communautarisme alors moi je lui réponds qu'en tant que Kabyle je refuse de perdre mon honneur. Je ne vais pas renier mon parcours alors que je me suis toujours opposée au système de quotas et la discrimination positive qui crée selon moi plus de dégâts qu'elle n'apporte de solutions. Je suis Algérienne mais je suis aussi Française à part entière, profondément démocrate et laïque. Si je suis candidate à la députation, c'est parce que je suis convaincue de travailler pour le bien de la France et pour établir et renforcer les liens entre les deux pays, la France et l'Algérie. Qu'en pense François Hollande de cette situation et de vos difficultés en tant que Franco-Algérienne? Justement, je profite de sa visite en Algérie pour l'interpeller et lui dire que les Franco-Algériens ont droit eux aussi à une représentation. Je l'interpelle aussi sur la guéguerre au sein de son parti. Certains veulent nous entraîner dans la dérive communautariste. Pourquoi la XXIe circonscription doit être réservée aux Antillais vivant en métropole. Je ne suis pas la candidate d'une communauté mais de militants de tous horizons. Je l'interpelle aussi sur la tendance anglo-saxonne que le parti prend et l'on ne s'appuie plus sur des convictions et des idées mais sur des communautés, Maghrébins, Antillais; gays, etc. Delanoë, pour des motifs électoralistes, veut mettre le feu au parti. C'est la fin de l'unité du parti. J'interpelle François Hollande en tant qu'homme de parole et de principes pour qu'il apaise les tensions. Je dirais à la direction de mon parti, ne crachez pas sur les principes par des manoeuvres qui mettent en danger tout le PS. Avez-vous des projets pour obtenir la candidature? Bien sûr. Je ne cesserai pas de demander un vote des militants et je vais créer un mouvement «Touche pas à mon parti» pour dénoncer toutes ces rivalités entre les militants sur des bases ethniques et pour réaffirmer le principe démocratique du vote des militants. Le mouvement fédérera tous les militants socialistes qui rejettent ces pratiques, même ceux qui ont subi la discrimination positive. Nous ne voulons plus être instrumentalisés et manipulés par la direction. On monte les Africains contre les Maghrébins, les Antillais contre les Africains, les Kabyles contre les Arabes et ainsi de suite. A Argenteuil, une Antillaise a été éliminée au profit d'un Maghrébin et ici chez moi on m'élimine pour une Antillaise. A Lyon, une militante d'origine algérienne, Zohra Aït-Matel, a été éliminée pour placer un radical gauche. On se sert de la diversité pour ignorer les réalités locales. «Touche pas à mon parti se battra contre ces inégalités». Etes-vous soutenue par des Franco-Algériens? Vous savez, nous ne sommes pas structurés en tant que communauté pour deux raisons. D'abord nous sommes très différents. Certains se proclament musulmans avant tout, d'autres s'identifient au monde arabe, d'autres encore se définissent comme Kabyles. C'est difficile dans ces conditions de créer un lobby. La seconde raison est que les Franco-Algériens sont bien intégrés contrairement à ce qui se dit dans les médias et ils ont une culture républicaine. Ils réagissent plutôt en citoyens car ils n'ont pas la culture du lobby. Malheureusement, les médias français sont sur des logiques communautaires. Dans un article sur ma circonscription, une journaliste me qualifie de beurette. J'aimerais bien savoir ce qu'elle penserait si je la traitais, moi, de «fromage blanc». Elle dirait que je suis raciste? Mon identité politique est socialiste et je suis citoyenne française pour ceux qui l'oublient parfois. Le voyage de Hollande en Algérie est, chacun l'aura compris, dans la perspective des présidentielles de 2007. Que pensez-vous de la candidature de Segolène Royal? Je dois pour être claire vous préciser que j'appartiens au courant fabusien du PS. Je suis assistante parlementaire du député maire du XXe arrondissement, Michel Charzat, fabusien aussi. Il soutient ma candidature et a accepté de ne pas se représenter à condition qu'un vote des militants soit organisé. Ceci pour vous expliquer que je ne partage pas la ligne politique de Segolène Royal qui fait selon mon sentiment du blairisme. Ses propos sur l'encadrement militaire des jeunes délinquants et sur la double peine m'ont profondément choquée. Au plan économique, elle est vraiment libérale alors que nous sommes (les fabusiens) pour un volontarisme étatique fort, une politique industrielle avec de grands chantiers et contre la financiarisation de l'économie. Laurent Fabius dont je suis le porte-parole croit à un rayonnement de la France dans l'espace francophone et à une réelle lutte contre les inégalités Nord-Sud. Je ne pense pas que Mme Royal soit sur nos positions.