L'été est là avec ses grosses chaleurs et aussi ses bons côtés pour les jeunes gens et les travailleurs. Pour les premiers c'est d'abord les vacances scolaires et universitaires avec à la clé les sorties sur les plages et pour les seconds c'est une période de repos bien méritée et aussi le temps des visites familiales et des fêtes. Les villages et les hameaux se repeuplent peu durant l'été avec les émigrés et les enfants prodiges qui reviennent qui d'Europe, qui des villes, autres contrées du pays, l'espace de la saison des figues. Les villages longtemps silencieux vont renaître à la vie et durant ces quelques semaines de vacances se remplir d'entrain. Les vieux, généralement les retraités, vont quant à eux «subir», avec cette patience proverbiale de montagnards qui savent faire contre mauvaise fortune bon coeur et essayer ainsi de durer, et aussi d'affronter les feux de l'été. Ils sont affalés sur les pierres de la djemaâ, engoncés dans leurs petits problèmes de santé et aussi perdus dans leurs petits calculs de gagne-petit. En effet, les retraités se divisent en deux catégories. Les retraités en dinars, les plus nombreux et les autres : les retraités en euros. Si les premiers sont en fait des laissés-pour-compte avec une pension qu'ils essaient difficilement de gérer piécette après piécette, les seconds caracolent sur les hauteurs sociales. Les euros échangés à des taux certes moindres relativement à l'ancien temps, constituent cependant une cagnotte assez importante en ces villages où ces retraités font figure de riches. Ces derniers ont souvent tout le confort et ne sortent à la djemaâ que le soir alors que les autres traînent sur les dalles en gypse de tadjemaït toute la journée cherchant les coins d'ombre possibles. C'est le cas de Ammi Akli, qui, du haut de ses soixante-dix ans, recherche encore aujourd'hui un travail car selon lui «après avoir effectué plus de quarante années de service dans une administration comme gardien de nuit, il est sorti en retraite avec une maigre pension». Comparant sa situation à celle de son voisin Mohand qui a travaillé chez Renault une vingtaine d'années, il est aujourd'hui en position de retraite avec plus de cinq cents euros mensuels et avec le change parallèle cela lui fait près de cinquante mille dinars, une petite fortune dans ces montagnes de Kabylie. Ammi Akli lui ne perçoit que 9000 DA mensuels. Aussi le train de vie de l'un et de l'autre n'est pas le même forcément. Autant le vieux Mohand est enjoué autant Ammi Akli est taciturne. En cet été, avec le manque de moyens surtout dans les villages où les vieilles personnes n'ont aucune structure d'accueil encore moins de structure sanitaire en mesure de répondre aux éventuelles urgences. C'est le lot des vieilles personnes dans les villages et hameaux de Kabylie. Ceux qui sont quelque peu «argentés», la chaleur et la température sont atténuées soit par un ventilateur, soit encore mieux par un climatiseur. Mais pour les autres dont Ammi Akli fait partie, ce genre de matériel est tout simplement hors de portée. Quand les chaleurs se font plus qu'insupportables et que la respiration devient difficile, ces vieux n'ont pour tout recours que la vieille mosquée du village. Les murs de l'édifice religieux assez épais font que l'intérieur est quelque peu frais. Ammi Akli et les autres dans son cas, encore qu'ils se considèrent comme étant parmi les plus vernis car d'autres n'ont même pas ce petit pécule pour survivre, se demandent comment finir leurs vieux jours avec ce manque en tout dont ils souffrent. Jusqu'à leurs enfants qui souvent leur reprochent de n'avoir pas émigré dans leur jeunesse. Triste époque pour ces vieux. Les retraités en euros, eux semblent carrément rajeunir. Car avec les poches pleines «c'est la vie qui s'égaye». En ville les choses ne sont pas plus roses. Sauf que les services de santé sont plus performants et, de temps à autre, les vieux s'offrent un petit moment de fraîcheur dans l'une des mosquées de la ville généralement assez fraîches quand elles ne sont pas climatisées. Il reste que les vieilles personnes sont de plus en plus nombreuses à se sentir abandonnées et, dans leur coin, donnent cette pénible impression de mourir doucement et en silence. Ammi Akli conclut «si au moins nous avions de l'eau dans les robinets.»