Blaoui est revenu à Alger après une longue absence qui a duré 28 ans. Du haut de ses 80 ans, Blaoui Houari garde la dextérité du virtuose. Le temps n'a eu aucune prise sur l'artiste. L'émotion était à son comble, dimanche soir à l'auditorium de la radio, lorsque Blaoui a pris sa guitare. Il entonne ya smaa puis enchaîne avec hada elhmam de son ancien répertoire. La salle est envoûtée. Le voilà reparti comme à ses vingt ans. C'est une soirée de retrouvailles avec le public algérois. Depuis 1978, il n'a pas mis les pieds à Alger ; c'est-à-dire depuis la mort de Boumediène, diront certains. Cela fait 28 ans. La soirée porte en soi une symbolique. Il s'était replié dans sa ville. Il a survécu grâce à Oran, à ses rues gaies, à ses sentiers tortueux, à ses gens qui lui vouent une admiration aux limites de l'adulation, à leur simplicité mais surtout grâce à la musique. Quand on lui demande comment le retrouver dans les dédales oranais, il répond: «Demandez seulement Blaoui et l'on vous conduira chez moi». Oran c'est Blaoui. Blaoui c'est Oran. Il n'est Oran que de Blaoui, dirait Aragon. L'ensorceleuse (au féminin-SVP) Oran a ses secrets. Elle vous prend dans sa nasse dès les premiers abords, vous envoûte, ne vous lâche plus. Blaoui a succombé à ses charmes, y est resté depuis si longtemps...très longtemps. Mais comment a-t-on pu le convaincre de renouer ou de se réconcilier avec Alger après une si longue absence? Mihoubi a fait un travail diplomatique monstre pour le convaincre. Il a envoyé ses éclaireurs qui ont réussi à mettre la main sur Baroudi, l'un des ses poulains qui fait le manager et le conseiller du grand chanteur. Grâce à Baroudi, Blaoui est venu. Il entre de ce pas nonchalant, adresse un sourire innocent à la foule qui l'attend puis prend place au milieu des artistes oranais. On compte Djahida, Bouali, Baroudi, Bennabi et d'autres nouvelles voix très prometteuses. Ce sont les fidèles parmi les fidèles qui lui doivent tout. C'est un peu sa garde rapprochée. Blaoui ne sait communiquer que par la musique. Inutile d'attendre de lui les beaux discours ou les belles phrases. Dès qu'il égrène sa mélodie, on retient son souffle, on frôle l'extase. L'on sent cette magie qui est la sienne, ce don du ciel qui l'anime. Blaoui est né musicien, comme on naît handicapé ou intelligent. Depuis son très jeune âge, il manie la guitare, s'initie à tous les instruments. Il fait du solfège et découvre très tôt sa vocation. Au départ c'était le bédoui. Blaoui Houari s'est mis à chanter la qacida puis, petit à petit, il introduisit l'instrumental. Le bédoui s'orienta naturellement vers l'oranais qu'on connaît aujourd'hui. Avec Ahmed Wahby, ils ont révolutionné le chant bédoui en créant un style nouveau. Blaoui Houari est surtout connu pour ses compositions. Il a composé pour près de 200 chanteurs, parmi les plus célèbres citons Driassa, Doukali ou Oujdi. Il a côtoyé El Anka, Bachtarzi, Guerrouabi. Il a formé des dizaines de chanteurs. Il était aussi l'ami de Zabana, auquel il réserve une opérette dont le texte a été rédigé par Mihoubi qui vient lui rendre hommage -avec Mehri- au nom de la Radio algérienne. Le chanteur-compositeur a laissé son empreinte sur la musique oranaise. Il a formé également les Mami et les Khaled -prince et roi du raï- qui sont devenus ses ambassadeurs et qui ont porté loin ses chansons en leur donnant une dimension internationale. Blaoui reconnaît qu'il n'y a pas que du mauvais dans le raï. Grâce au raï, Blaoui est devenu une légende. Mais il continue de revendiquer le retour aux sources, à la musique pure, originale. Il cite l'andalou comme référence. Fait le geste de lassitude comme pour dire qu'il y a trop de raï ou que du raï. «Il faut purifier un peu le raï», lance-t-il sans méchanceté.