Il a 92 ans. Il est le plus vieux de ses rares collègues. Contrairement à l'habitude, ce qui a attiré notre attention, c'est la modestie du lieu. Un local très discret, sis au 107 rue Hassiba Ben Bouali et qui porte l'enseigne «Brocanterie Dihya». A l'intérieur, M.Souakria Sabah, dit Ammi l'Hadj, un vieux de 92 ans, nous accueille avec beaucoup de chaleur. Nous remontons avec lui les méandres de son histoire et les péripéties de ce métier qu'il dit exercer dans le même local depuis la fin des années 30. «J'ai commencé comme simple apprenti chez Semon Mezay, un Français d'origine juive installé à la rue Balzac. «Il me payait à l'époque 3 F le mois», dit-il, et poursuit: «Je n'ai jamais été à l'école, mais la vie m'a appris à user de mon intelligence et à être lucide; au bout de quelques années de travail, j'ai acheté ce local et huit ans plus tard, mon ex-employeur est devenu mon client». Malgré son âge avancé, Ammi l'Hadj garde ses facultés intactes, particulièrement sa mémoire. Il évoque avec beaucoup d'émotion les années de la guerre et son activisme au sein du FLN. «J'entretenais de bons rapports avec mes clients français pour ne pas attirer l'attention des autorités coloniales, car l'arrière-boutique du local servait de cachette aux moudjahidines». «Je procurais également des armes et des habits». Arrêté pour détention d'armes, le local incendié par l'OAS, Souakri reprend son activité après l'indépendance. Pour l'occasion, il a offert plus de 120 bureaux aux différentes structures naissantes de l'Algérie. S'agissant de la valeur des pièces qu'il vend ou qu'il achète, Ammi l'Hadj dit qu'il n'a pas fait d'études en la matière pour prétendre être un spécialiste. «Je fais confiance à mon coup d'oeil, au toucher et à mon instinct». Néanmoins dit-il, «il m'est arrivé de vendre des objets d'une valeur inestimable à des prix dérisoires»; il cite à ce propos plusieurs exemples tels «des tableaux de grands artistes, des cadeaux de grandes personnalités historiques, et surtout une statuette représentant un cheval qu'il a vendue en 1970 à 8000 DA» ; en 1986, dit-il, «la statuette en question a fait l'objet d'un article de presse dans le journal Le Monde. C'est vous dire que la pièce était d'une très grande valeur». A 92 ans, le vieux fouine encore. Il s'approvisionne au niveau des ambassades, chez des particuliers et rarement dans des marchés. «Ce métier et cette boutique sont indissociables de ma vie, ils sont une partie de moi». A propos de la fortune, le vieux précise: «Je n'ai pas possédé des milliards, mais j'ai aidé les nécessiteux, j'ai élevé mes enfants et je nourris à présent trente bouches, ça me suffit largement, Dieu merci». Le doyen des brocanteurs nous a, par ailleurs confié sa grande inquiétude quant à la rumeur faisant état de la destruction de son local et des constructions mitoyennes pour faire passer un pont. En attendant Ammi l'Hadj est toujours dans son local. Un exemple vivant de persévérance et d'amour du métier.