Société n Les portefaix, nommés aussi parfois — et improprement — «colporteurs», sont tous les jours, de 8 heures du matin au coucher du soleil, en attente d'une «course» dans les rues de la vieille ville. Ils sont, à peu près, une trentaine, dépassant pour leur majorité la soixantaine, adossés à leur «diable» —nom usuel donné au petit chariot à roues basses — à attendre, surtout devant les entrepôts, le long de la rue Larbi-Ben-M'hidi connue localement sous le nom de «Trik Djedida», pour le transport de sacs et de caisses, entre autres. Leur âge ne semble guère, toutefois, représenter une contrainte, car ces sexagénaires sont prêts, à tout moment, à effectuer leur «chargement» et à remonter cahin-caha la rue vers les dédales de la vieille ville, donnant ainsi une leçon de vie aux jeunes chômeurs adossés aux murs de la rue. Ammi Rabah racontera ses débuts en 1956 comme porte-faix, à l'époque où lui et ses compagnons d'infortune chargeaient encore leur marchandise sur le dos à l'aide d'une solide corde, celle-là même qu'ils utilisent aujourd'hui pour attacher les rouleaux de tissus et autres marchandises à leurs «diables». «A l'époque, nous transportions du charbon jusqu'au domicile des clients, qui l'utilisaient pour le chauffage et la cuisine», explique Ammi Omar, âgé de 82 ans, qui a toujours bon pied bon œil. Ammi Omar et ses amis «hammala», plus ou moins jeunes que lui, mais qui s'appellent tous entre eux «ammi», en signe de respect, regrettent les vieux jours où Trik Djedida n'était pas aussi encombrée. Ammi Rabah nous raconte : «Al'époque, il y avait moins de monde, plus de travail, et surtout il n'y avait pas autant de voitures.» Trik Djedida, cette rue à sens unique, est une des artères principales de la vieille ville de Constantine, mais son étroitesse fait qu'elle n'est «ni tout à fait carrossable ni entièrement piétonne». Un petit retour en arrière s'impose pour comprendre pourquoi ce métier, vieux comme le monde, n'a pas encore disparu à Constantine, et pourquoi il n'est pas près de disparaître. A l'origine, les portefaix et leurs petits engins, peu encombrants, s'accommodaient parfaitement de l'absence de véhicules motorisés pour le transport des marchandises. Les «conducteurs de diables» se sont ensuite naturellement accommodés, lorsque apparurent les camionnettes et autres tricycles, à l'exiguïté des accès aux différentes «rahbas» (places commerciales où sont concentrés les marchés et les entrepôts). Aujourd'hui, la «redistribution» des marchandises dans les différentes rues et places de la Médina reste toujours à la charge des portefaix. La plupart d'entre eux ne demandent qu' «à gagner leur pain honnêtement, même si le métier est très pénible» et que la «recette» n'excède pas 200 ou 300 dinars par jour. En nous quittant pour répondre au signe discret d'un client, le vieux bonhomme semblait avoir, en tout cas, plus de poids sur le cœur que sur son «diable».