Sur le champ de bataille soudanais, les deux généraux en guerre n'alignent pas que leurs propres troupes. Autour d'eux gravitent mercenaires, gardes privés, combattants tribaux ou instructeurs étrangers, attirés par l'appât du gain... et de l'or. Depuis des décennies, le recours aux milices au Soudan représente une activité lucrative: soit Khartoum leur sous-traite la répression de minorités ethniques ou de mouvements armés, soit elle loue leurs services sur des terrains de guerre étrangers. Ainsi, de la région soudanaise du Darfour au Mali, en passant par la Libye, la Centrafrique ou le Niger, les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo ont tissé de longue date des liens à l'étranger. Un temps, ces paramilitaires redoutés ont combattu au Yémen pour Saoudiens et Emiratis, en Libye pour différents camps ou ailleurs dans le Sahel. Maintenant que la guerre est sur leur sol, les FSR publient sur les réseaux sociaux des vidéos de combattants leur exprimant leur soutien au Tchad ou au Niger. Pour Abdel Fattah al-Burhane, chef de l'armée soudanaise et grand rival de Daglo, dit «Hemedti», des «mercenaires venus du Tchad, de Centrafrique et du Niger» combattent au sein des forces ennemies. L'envoyé de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, l'a aussi répété: «Le nombre de mercenaires venus du Mali, du Tchad et du Niger pour soutenir les FSR n'est pas insignifiant.» Des témoins à Khartoum assurent avoir entendu des combattants des FSR parler français, une langue qui n'est pas parlée au Soudan, principalement arabophone, semblant suggérer qu'ils soient tchadiens. La famille Daglo tient une grande part des mines d'or du Soudan, troisième producteur d'Afrique, donc «Hemedti peut payer des salaires comme peu de gens en Afrique subsaharienne ou au Sahel», affirme Andreas Krieg, du King's College de Londres. Déjà, «ces dernières années, des Tchadiens ont rejoint les FSR pour le salaire». Le Tchad, à l'Ouest, est un prolongement naturel pour Hemedti, issu de la tribu des Rizeigat du Darfour: les cultivateurs et éleveurs menacés par la sécheresse y font peu de cas des frontières officielles. La plupart des chefs miliciens, dont Hemedti, ont des origines tchadiennes. Au fil des générations, ils ont recruté des hommes puis leurs fils, offrant à tous «des passeports soudanais et des terres abandonnées par des déplacés non arabes», assurait dès 2017 le centre de recherches Small Arms Survey. La base arrière de Hemedti, elle, se trouve en Libye. Les zones contrôlées par le maréchal Khalifa Haftar constituent un «carrefour de livraisons d'armes aux FSR», assure M. Krieg. «Les Emirats arabes unis ont envoyé aux hommes de Haftar entre 2019 et 2021 des tonnes d'armes qui peuvent maintenant être données aux FSR», poursuit-il, signalant «des armes émiraties découvertes au Soudan». D'autres étrangers se sont aussi invités dans le chaos soudanais à la faveur de la fuite générale des diplomates, employés onusiens et autres expatriés. «Plusieurs petites compagnies privées, principalement composées d'anciens des forces spéciales britanniques, ont évacué des personnes moyennant parfois 20000 à 50000 dollars», rapporte M. Hudson. Pour Alex de Waal, spécialiste du Soudan, «l'argent et le mitraillage sont des monnaies interchangeables sur le marché politique soudanais. Et, écrit-il dans la London Review of Books, «Hemedti fait commerce des deux». Pour lui, «les FSR sont désormais une entreprise privée de mercenariat transnationale», «un opérateur d'extraction et de vente d'or» et le «bras armé de l'empire commercial de Hemedti». Si ce dernier l'emporte, estime-t-il, «l'Etat soudanais deviendra une succursale de cette entreprise transnationale».