Lorsqu'à la fin de la belle cérémonie d'ouverture, Michael Douglas, heureux récipiendaire d'une Palme d'honneur et l'icône Catherine Deneuve, après avoir déclaré ouverte la 76 édition du festival de Cannes, emboitèrent le pas à la maitresse de cérémonie, Chiara Mastroianni, devancée par le jury, pour quitter la grande scène, la grande salle Lumière fut plongée dans le noir, les premiers cartons du générique de «Jeanne du Barry», allèrent donner, l'air de rien, le signal de ce qu'aucun ne pressentait déjà, comme étant l'émergence d'une nouvelle donne, saoudienne cette fois, à même d'ouvrir au cinéma mondial, de nouvelles perspectives. Des années d'observation nous font croire que c'est une puissance qui va redistribuer les cartes, d'égal à égal avec Hollywood. Jusque-là, les argentiers arabes, misaient sur un film, sur un coup de coeur, sans plus. Sans aucune projection vers le futur. En ne cherchant qu'à capter la lumière sur soi, seulement, ces mécènes s'étaient transformés en phalènes, dont la longévité se compte en «seconde-lumière». Mais en cette soirée d'ouverture du plus grand festival de cinéma au monde, c'est «Red Sea Film Foundation» qui retint l'attention mais aussi «Les Films de Batna» (en français et en arabe) aux côtés de poids lourds de la production hexagonale... La couleur était annoncée en cette belle soirée de mai. Maïwenn qui semble à chaque fois qu'elle parlait de l'Algérie, avoir fait une piqûre de rappel, d'un vaccin anti-amnésique. Et ce n'est pas seulement parce qu'elle a demandé et obtenu son passeport vert, tout transpire le pays. Jusqu'au «taghenant» qui reste sa marque de fabrique, certains, non initiés, appelleraient cela du «sale caractère». Mais ce n'est qu'un raccourci, comme pourrait l'être aux yeux de certains qui verraient dans cette présence saoudienne, une opération de com', sans suite. Sauf qu'elle est le fait d'une génération saoudienne, jeune et entreprenante qui a bien décrypté le discours de son prince, Mohamed Ben Salman qui rappelle dans ses interventions que le développement n'est plus tributaire du seul sous-sol, mais aussi du potentiel d'attractivité que peut exercer à l'avenir le royaume. Et dans le cinéma, le message est bien passé et il passe avec succès, jusque-là, l'épreuve du terrain. Il y a cinq ans, le cinéma était interdit de visibilité, sur tout le territoire. Depuis 2018 à ce jour, l'on compte 65 salles, 593 écrans, 62000 fauteuils, essaimés sur 20 villes, pour le moment. «Le box office saoudien représente 45% de celui de l'ensemble de la région MENA, alors qu'on n'est qu'à un quart du plan de développement de notre parc», rappelle le jeune Fayçal Baltyor, producteur-distributeur qui, après quatre années passées en Australie où il s'initia aussi bien à la production qu'à la réalisation, se retrouve à la tête dune major saoudienne, en devenir. La vision saoudienne en matière de cinéma est d'abord et surtout nationale: «Comme 70% des 35 millions d'habitants du pays sont constitués de nationaux, l'intérêt pour les contenus locaux est plus évident que dans d'autres pays. Et le succès trouve sa voie, comme ce fut le cas avec «Sattar» qui, avec 900000 entrées (24 millions de dollars de recettes dans le royaume en plus des 8, 5 millions de dollars en Angleterre) devint le troisième succès de tous les temps, là-bas. Les productions hollywoodiennes et égyptiennes se taillent une bonne part du marché, mais la demande d'oeuvres nationales est de plus en plus grande. Cerise sur le gâteau, un nouveau cinéma art et essai a été inauguré l'an passé, à Riyadh. Les Saoudiens ratissent large, en plus de la production nationale, un intérêt sans cesse croissant est donné aux «films grand public comme des films d'auteur qui ont pour vocation à faire le tour des meilleurs festivals internationaux». Cette année six films qui sont passés par le guichet de soutien saoudien sont à Cannes: «Inch'Allah, un fils» du jordanien Amjad Al Rasheed, «La Mère de tous les mensonges» du marocain Kamal Lazraq, «Goodbye Juliana» du soudanais Mohamed Kordofani, «Les Filles d'Olfa» de la tunisienne Kaouther Ben Hania et «Jeanne du Barry» de la franco-algérienne Maïwenn. Au total le Red Sea Fund a déjà soutenu plus de 100 projets de films à hauteur de 14 millions de dollars pour l'ensemble de ses dotations sollicitables de la phase de développement à la postproduction. Un sérieux coup de pouce à l'exportation qui est déjà portée par des talents saoudienns, depuis une dizaine d'années, comme Shahad Amine et bien sûr Haïfa Al-Mansour auteur de l'inoubliable «Wajda». Pour le développement du cinéma dans leur pays et à l'étranger nous inspirons beaucoup des textes du CNC français qui inspirent beaucoup de cinématographies de par le monde. À Cannes, cette année sera sans doute marquée d'une croix blanche, celle de la naissance d'un nouveau major dans la petite, mais précieuse galaxie des faiseurs du cinéma dans le monde.