C'est un livre qui éclaire les lecteurs sur une période très importante de l'histoire de l'Afrique puisqu'il s'agit de l'époque ayant succédé à l'indépendance de notre pays. On découvre dans chaque paragraphe de cet ouvrage le souci qu'avaient les deux présidents Houari Boumediene et Houphouët-Boigny de bâtir une Afrique forte économiquement, mais aussi et surtout digne. Une dignité qui ne pouvait s'arracher qu'avec une indépendance économique digne de ce nom. Un aspect des efforts énormes déployés dans ce sens par les deux présidents est narré avec moult détails dans cet ouvrage qui est tout simplement la reprise de manière intégrale des messages très longs, consistants et perspicaces que s'échangeaient les deux chefs d'Etat par l'intermédiaire du brillantissime diplomate Ghoulem Berrah. Ce dernier, chercheur mais aussi diplomate de talent, était le conseiller spécial du président de la Côte d'Ivoire Felix Houphouët-Boigny entre 1965 et 1993. Le docteur Ghoulem Berrah a été fondateur de l'Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA). Il fit des études de médecine à bordeaux. Il a été professeur de virologie de Yale avant de parvenir au sommet du monde scientifique aux Etats-Unis: «American Man of cience». Un témoignage primordial Il a été également membre de l'Académie des Sciences à New York. Il nous a quittés en 2011, mais non sans laisser, fort heureusement, cet ouvrage publié à titre posthume et qui a le mérite de dévoiler une page importante de notre histoire politique en tant qu'Algériens, mais aussi celle de l'Afrique. Le docteur Ghoulem Berrah avoue en toute sincérité et modestie que le contenu de son livre a un caractère confidentiel, mais devant l'importance des événements sur lesquels se penchent les deux présidents, ne pas le publier privera notre continent d'un témoignage primordial. L'auteur a donc mis en avant l'intérêt que peut apporter le contenu de ce livre en décidant de le publier. Le livre, portant pour titre «Mes missions confidentielles» et pour sous-titre «le dossier Boumediene/Houphouët-Boigny» vient de paraître aux Editions Casbah. Les échanges prolixes entre Boumediene et Houphouët-Boigny dont il est question, ont eu lieu entre 1973 et 1975. Cette période a été cruciale dans l'histoire de l'Afrique et de nombreux défis se sont présentés au continent. L'Algérie et la Côte d'Ivoire, pour plusieurs raisons, y jouaient un rôle de premier plan. Si les aspects publics de l'histoire de cette période sont très connus, les positions et le travail fourni par les deux présidents, dans la discrétion, ne sont révélés que pour la première fois. Tout l'intérêt de ce livre qui nous fait découvrir la rigueur intellectuelle qui caractérise les analyses des deux présidents concernant les évènements, les problèmes et les défis de l'époque au niveau international. Le lecteur prend aussi connaissance de l'admiration que vouait chacun des deux présidents pour l'autre. Ils en parlent en échangeant sans aucun complexe et presque spontanément. Houari Boumediene dit et décrit toute l'admiration qu'il vouait à Felix Houphouët-Boigny et vice versa. Une période cruciale Pourtant, les deux hommes ne s'inscrivaient pas dans la même démarche idéologique, mais ils avaient en commun l'objectif d'oeuvrer pour la paix en Afrique, dans le monde arabe et dans le monde de manière générale. Ils avaient en plus pour but de ne pas se laisser écraser par les anciennes puissances coloniales dont ils s'étaient libérés politiquement et militairement, mais pas économiquement. Les longs messages des deux Présidents sont intercalés par le regard lucide et les commentaires pointus de l'auteur Ghoulam Berrah qui joue un rôle très important dans ces échanges sur la base desquels se sont construites les relations d'amitié profonde et solide entre l'Algérie et la Côte d'Ivoire. Il faut noter que Ghoulem Berrah avait la confiance absolue de Felix Houphouët-Boigny. Ce dernier lui a confié une mission des plus discrètes, visant à oeuvrer pour le règlement de divers conflits dans le monde ainsi qu'en faveur d'un développement harmonieux du continent africain, mission qui n'était pas du tout aisée compte tenue d'une multitude de raisons qu'on découvre au fur et à mesure de la lecture du livre et en se penchant sur les analyses clairvoyantes des deux Présidents qui se livrent à coeur ouvert et avec une franchise parfois déconcertante. Certes, il s'agit de propos destinés uniquement à l'autre partie, mais en dépit de cela, il demeure que les vérités assénées par chacun des deux présidents reflètent amplement leur caractère d'hommes ne ressemblant pas à la majorité des chefs d'Etat. Ce sont des missions très spéciales et discrètes dont était chargé Ghoulem Berrah. Parfois, il se rend à Alger pour y rencontrer Boumediene en un laps de temps record quand un sujet brûlant imposait une tractation rapide entre les deux chefs d'Etat. La présence d'Israël sur le sol africain et ses répercussions immédiates et à long terme, revenue au-devant de l'actualité il y a quelques mois, a été une question longuement débattue par les deux chefs d'Etat. Les grands dossiers politiques de l'époque sont tous passés au crible de manière perspicace par les deux présidents. On y découvre certes, des divergences d'ordre idéologique, mais guère concernant les objectifs à atteindre aussi bien à court qu'à long terme. L'intérêt de l'Afrique est une constante sur laquelle Boumediene et Houphouët-Boigny n'ont eu cesse de s'entendre. Ils ont fini également par accorder leurs violons concernant la rupture des relations diplomatiques avec Israël. Une décision de Houphouët-Boigny sur laquelle s'attarde en outre l'auteur et dans laquelle Boumediene a été pour beaucoup. D'ailleurs, le jour où le président ivoirien a annoncé dans les médias de son pays, qu'il rompait ses relations diplomatiques avec Israël, il a envoyé l'auteur expressément afin d'être à Alger, près de Boumediene, au moment de l'annonce. Mais le combat, car c'en est un, est demeuré long et parsemé d'embûches pour les deux leaders qui devaient faire face à des adversités aussi bien continentales qu'internationales, empêchant ainsi de faire parvenir leurs nobles ambitions à bon port. Mais l'espoir ne les a jamais quittés à aucun moment, dans les pires moments, ils restaient imperturbables, bien que parfois désappointés, surtout quand les coups bas venaient de pays amis ou frères. Par amis et frères, il faut comprendre, nations africaines et arabes. Le dossier de la rupture des relations diplomatiques avec Israël, par la Côte d'Ivoire occupe près d'une vingtaine de pages après le chapitre consacré à la guerre de «Ramadan» de 1973. Amitié solide Le livre se penche aussi sur l'embargo sur le pétrole et ses conséquences en 1974, le défi de la revalorisation des matières premières, la lenteur chronique au niveau de l'OUA et de la Ligue arabe, l'élection d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence de l'Assemblée générale de l'ONU, l'impact du nouvel ordre économique sur les rapports de l'Afrique avec les autres continents, le problème du Sahara occidental, etc. Dans le chapitre consacré aux pourparlers entre le président Hamani Diori et Mouammar Kadhafi, Boumediene fait part à Ghoulem Berrah de son désappointement face à l'attitude de Kadhafi. «Aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi Diori a signé un accord de défense avec la Libye. Bien sûr, il n'ignore pas que nous avons des difficultés avec Kadhafi. Mais quels que soient les problèmes qui nous opposent aujourd'hui, ils ne sont que momentanés», a confié Boumediene à son émissaire Ghoulem Berrah, chargé de transmettre son message à son homologue ivoirien. Ce chapitre est très passionnant dans la mesure où il nous confirme et nous apprend davantage concernant les ambitions démesurées teintées de mégalomanie de Kaddhafi. Concernant le même accord de défense, Boumediene s'est interrogé: ce traité vise-t-il l'Algérie? «Je voudrais une réponse claire et je ferais tout pour l'obtenir», menaça Boumediene car il considéra cet accord de défense comme extrêmement grave. «Jamais je ne m'aventurerai à m'ingérer dans les affaires des autres, mais jamais non plus, je ne permettrai aux autres d'interférer dans les affaires intérieures de mon pays», a ajouté le président algérien. En plus de l'actualité foisonnante sur laquelle se penche le livre, ce dernier nous dévoile également l'amitié exceptionnelle qui liait Houari Boumediene à Houphouët-Boigny. Une amitié, souligne, dans l'épilogue, Ghoulem Berrah, qui est demeurée solide jusqu'aux dernier jour de Houari Boumediene. L'auteur rapporte que, quand Boumediene revint de Moscou où il fut en traitement, il fut envoyé en Algérie par le président ivoirien pour y rester stationné et monitorer ses progrès. L'auteur conclut: «C'était l'expression de notre amitié, de notre affection et compassion. À mon arrivée à Alger, je réalisais que son état était désespéré, sa santé se détériorait rapidement. Cette expérience tragique fut une épreuve émotionnellement accablante. (...). Lorsque je retournais à mon hôtel pour informer le président Houphouët-Boigny de notre perte mutuelle, il semblait transi, sans paroles».