En plus de la qualité très singulière de toute son oeuvre, cette dernière se distingue aussi et surtout par son caractère prolifique hors du commun. Matoub Lounès est d'abord et avant tout un grand artiste. Le fait qu'il ait été un militant au long cours a en quelque sorte déteint sur son côté artistique, mais sans en diminuer la portée fort heureusement. Mais quand l'occasion d'en parler se présente, on a toujours ou souvent tendance à s'attarder sur Matoub le militant,plutot que l'artiste et le poète également. En vingt ans de carrière brutalement interrompue suite à l'attentat ignoble du 25 juin 1998 lui ayant couté la vie, Matoub Lounès a produit pas moins de trente-quatre albums, ce qui constitue un record dans la chanson kabyle à textes, surtout si l'on prend en ligne de compte toute l'esthétique avec laquelle est construite cette oeuvre aussi bien sur le plans musical que textuel, vocal mais également sa façon unique et magique d'interpréter. Dès son premier album sorti en 1978, Matoub a déjà donné le ton, notamment avec l'une de ses chansons phares «A yizem» où Idir, le célèbre et regretté chanteur kabyle lui a prêté la voix pour en faire un duo. Texte engagé, le grand poète y exprime d'emblée tout le contenu autour duquel allait graviter tous les sujets qu'il allait aborder tout au long de sa carrière flamboyante. Dans sa première année de carrière, Matoub a produit deux albums en l'espace de quelques mois. Le second est intitulé: «Dawessou» où il chante aussi sur l'exil et rend hommage à la mère «À yemma aâzizen». En 1979, Matoub, à peine âgé de deux ans dans sa carrière naissante, crée un événement inédit dans le domaine. Il produit pas moins de quatre albums en moins de douze mois! Un exploit unique à ce jour. En plus, il s'agit de chansons, toutes, exceptionnelles où aucune musique ni aucun texte ne ressemble à un autre. Il y chante sur la révolution, rend hommage au colonel Amirouche, aborde avec affliction la mort d'un ami, dénonce l'exil qui frappe Slimane Azem, explore l'amour et ses travers, revendique son identité amazighe ainsi que la révolte du FFS en 1963. Comme on peut le constater, la diversité thématique chez Matoub a été impressionnante dès le départ. Il a abordé des sujets jamais appréhendés auparavant. Par la suite, Matoub aiguise ses armes musicales tout en gardant la même verve poétique. Il chante le printemps berbère avec une audace et un réalisme déconcertant: «Yehzen El Oued Aïssi». Il se fait le chroniqueur de son pays, l'historien qui dit tout ce que n'osent pas aborder les autres. Il le fait avec beauté et poésie. Et, sans redondance. C'était l'une de ses forces. Ne jamais chanter sur le même sujet à deux reprises ou, quand il lui arrive de le faire, jamais de la même manière. Et, la manière et l'art de la faire, il les avait amplement. Bien que très jeune, l'amour n'apparait que très rarement dans ses chansons. Pourquoi? Parce que Matoub, ayant épousé la femme qu'il a aimée en 1983, n'avait aucune raison de s'en plaindre. Du moins jusqu'aux événements d'octobre 1988. Sa vie bascula terriblement. Il frôla de très près la mort. Il revint de loin. Et c'est dans cette période qu'il divorça d'avec ce premier amour qui l'a tant hanté. Il se mit alors à chanter comme il ne l'avait jamais fait sur l'amour de Djamila qui l'a quitté. Il déplora cette séparation amoureuse sans jamais culpabiliser son ex-femme dans des chansons mythiques comme «Tarewla», «Tameddit bwas», «El Mahna», «Alil ahlil» et tant d'autres. Parallèlement, il continue d'écrire des textes très forts sur la situation du pays, ses malheurs et ses défis. Des albums mythiques sont nés de ses tripes et chacun, disait-on, était sans doute le meilleur. Mais il y avait toujours un autre «meilleur» qui allait venir. «Afalku bezru laghrib», «Tarwa lhif», «Tensa tafat», Les deux compères», «Arwah arhaw», «Aras tili», «Regard sur l'histoire d'un pays damné», «Communion avec la patrie» «Asirem», «Kenza», «Au nom de tous les miens»... Il s'agit tous, sans exception de chefs-d'oeuvre, couronnés par son album posthume «Aghuru» sorti quelques jours après son assassinat. Matoub, c'est vraiment l'artiste, le poète et l'interprète unique qui renait à chaque fois que l'on croit qu'il est mort. Grâce à son combat téméraire certes. Mais aussi et surtout grâce à son oeuvre monumentale dont on ne se rassasie jamais. Jamais!