Lorsque l'imagination alimente la déraison, le diable n'est pas loin. C'est en tout cas, ce que laisse penser le second et étrange roman La Rivale mystérieuse de Fadéla Hamiroun. Il faut dire tout de suite que sur cette femme écrivain, je n'ai aucun renseignement biographique, si ce n'est qu'elle «vit et travaille à Alger». C'est assez frustrant de ne pas en savoir davantage ; aussi, je comprends bien maintenant la juste réaction de Youcef Saïah, producteur et animateur de l'intéressante émission Papier bavard (Chaîne iii), qui avait déjà exprimé un tel regret. Mais laissons donc «vivre et travailler» Fadéla Hamiroun. Accordons plutôt notre attention à son roman dont le texte, à travers des personnages au caractère inouï et toujours fulgurant, fixe les souffrances d'un des lieux d'Algérie durant la décennie rouge, et à son héroïne, Ghalia, pleine de ressources humaines pour combattre les mauvaises ombres de ce monde qui l'assaillent dès le début de son amour pour Seddik qui a pourtant deux fois son âge. Il s'agit d'un amour total, «d'un amour brûlant et impatient», comme ne pourrait donner qu'une jeune fille intelligente et sensible. De plus, ils enseignent tous les deux dans la même école. Or, après «Une longue période de fiançailles -six, sept mois- [...] Une période de fiançailles mouvementée. En sentiments. Doutait-elle [Ghalia] des siens? Jamais. De ceux de Seddik? Il avait été tour à tour taciturne, obscur, mystérieux ou volubile, gai et amoureux», la nuit des noces, «Nuit rêvée et tant attendue!», point de Seddik, «Mais où peut-il bien être?» Ce livre, La Rivale mystérieuse, permet de suivre le destin d'une femme, Ghalia, à qui rien n'est épargné pour l'obliger à renoncer à son amour. «Une rivale», sans nom, hors du temps, une créature multiple et multiforme a surgi dans la vie quotidienne et désastreuse d'une Algérie disloquée ; elle habite le corps de Ghalia et menace son esprit amoureux. L'angoisse est à son paroxysme: le drame occupe et préoccupe l'héroïne qui se projette sur toute chose qui suggère une espérance de vie meilleure et qui ne vaudrait que par sa vraie lumière de liberté et d'indépendance, où elle-même serait, en définitive, liberté et indépendance vis-à-vis de l'Autre, son indéfinissable rivale, mais également de l'homme, le mâle, clair et net, au pied de la muraille, citadelle politique, religieuse, sociale, cause de toutes les souffrances de la femme. Vraie héroïne, dynamique et attachante, et éblouissante d'intelligence et de lucidité, Ghalia, la femme algérienne, a un langage fort où les mots s'unissent éloquemment à la vie. Au reste, l'écriture de Fadéla Hamiroun est, à ce sujet, jalonnée d'expressions et de signes comme tirés à bout portant contre tous les démons anciens et nouveaux et contre toutes les séquelles des activités maléfiques de ces derniers et que l'on désigne par analphabétisme, ignorance, fanatisme,...Le ton est dur ; et sans doute ne faut-il surtout pas être de bonne humeur en lisant ce livre, car là rien n'est laissé au hasard ou rarement laissé au hasard pour parler vrai. Peut-être, l'auteur a-t-il créé Ghalia à sa possible image et à son idéal de vie, c'est-à-dire a créé une femme cultivée, «indomptable», «généreuse» et soigneuse de son «état de femme» face à la vie, à la seule vie qui lui est fatalement imposée. Comme Nizhar El-Kabbani, «le poète de la femme», «le poète de l'amour» et cité par Fadéla Hamiroun, Ghalia aurait pu dire: «J'ai tué tous ceux qui, depuis mille ans, forniquent avec la parole». La lecture de ce roman est agréable ; elle efface en nous, lecteurs, les livres compliqués au style amphigourique et orgueilleux. Voilà une vraie écriture, un vrai sujet, une vraie romancière algérienne qui ose aussi faire dire à sa voisine et amie d'enfance Aïcha-Boumba «Une gazelle morte est plus libre qu'une gazelle en marbre» et affirmer en écrivant: «Et plus libre la gazelle occise que cloîtrée!». Qui lira ce roman, comprendra!