J'ai rencontré un homme qui voulait tout savoir sur l'histoire, l'actualité, la culture, les hommes... les groupes armés. Dix ans après, il a pris de l'âge et acquis de l'expérience. Lorsqu'on revient d'Irak, on garde indubitablement des séquelles. Robert Stephen Ford en est revenu avec des tempes grisonnantes. Quand je l'ai rencontré en 1995 à Alger, il faisait plus jeune. La quarantaine à l'époque, il débordait de vitalité. Il voulait tout savoir sur l'Algérie en guerre contre elle-même. Il a appris que je venais de terminer un livre sur le FIS et tenait à me rencontrer pour avoir le point de vue d'un «connaisseur». J'ai découvert donc un homme étonnamment jeune, qui passe du français au dialectal algérien sans difficulté. J'ai relevé cette aptitude à assimiler très vite les langues comme nous savons le faire, nous autres Algériens. Nous avons discuté pendant plus de deux heures. Du tac au tac, on passe d'un sujet à un autre, sans préambule. Mon interlocuteur avait la manière de susciter la discussion. Il avait aussi la monnaie d'échange. Il ne vous laisse jamais croire qu'il vous tire les vers du nez. Il a une capacité d'écoute extraordinaire, doublée d'une aptitude à relancer le débat. De fil en aiguille, on est remonté jusqu'à l'Emir Abd El-Kader, en passant par l'Emir Khaled et Ben Badis. En remontant les chemins arpentés de l'histoire, il ne cessait de poser un tas de questions sur le parcours des hommes qui ont façonné l'Etat algérien. On a bifurqué, inévitablement, sur la situation de crise qui caractérisait cette période. J'ai découvert qu'il suivait attentivement ses infimes détails. J'ai ressenti chez lui un penchant pour le dialogue entre les parties en conflit. Les conciliabules avec l'AIS avaient commencé à ce moment-là mais je n'ai pas eu l'impression qu'il eut été au courant malgré qu'il eut rencontré énormément de gens de la classe politique, de la société civile, des universitaires, enfin, tous les faiseurs d'opinion. Il avait une vision caricaturale du conflit, tel que conçu et présenté par la presse de l'époque. Il voulait, par exemple, connaître l'aspect idéologique qui séparait l'AIS du GIA. Il voulait également savoir si ces «terroristes» avaient des idées à faire valoir où s'il s'agissait de simples criminels. Il posait un tas de questions de ce genre. Il avait l'art et la manière d'arracher l'information. J'ai tenté alors de le sortir de sa tanière en lui lançant au visage: «Vous savez, aucun Américain n'a été tué en Algérie». Il a aussitôt changé de sujet sans montrer sa gêne. Il m'a raccompagné avec le sourire et répétant à l'envie que notre discussion a été «très très importante». Je n'ai pas osé lui donner la primeur en lui offrant une copie de mon ouvrage. Il a dû le lire dans une bibliothèque du Maryland, après sa parution, quatre années plus tard. Il est reparti en 1997 pour d'autres missions dans le monde arabe. On le retrouvera à Nadjaf en Irak, en 2004, puis en 2006 à Alger. Auparavant, il avait fait l'Egypte, la Turquie, le Maroc, le Cameroun et Bahreïn. Dans la biographie officielle, établie par le département d'Etat, on lit: «L'ambassadeur Ford est titulaire d'un magistère en Arts de l'université John Hopkins en 1983. Il a été bénéficiaire de plusieurs récompenses du département d'Etat dont le James Clement Dunn award en 2005 pour son travail remarquable au niveau intermédiaire du service diplomatique ainsi que trois Superior honor awards et deux Meritorious honor awards. L'ambassadeur Ford parle l'allemand, le turc, le français et l'arabe. Il est marié à Mme Alison Barkley qui est également membre du service diplomatique américain. Ils sont domiciliés à Baltimore, Maryland. Dans une déclaration à la presse à l´issue de l´audience accordée par le président Bouteflika, il a affirmé que «les relations entre l´Algérie et les Etats-Unis sont fortes, notamment dans le domaine sécuritaire», ajoutant que «l´Algérie a souffert du terrorisme par le passé au même titre que les Etats-Unis qui ont eu à connaître des attaques terroristes». «Les deux pays coopèrent dans le domaine de la lutte contre le terrorisme afin d´éviter de nouvelles victimes innocentes». Par ailleurs, Ford a indiqué que l´Algérie est «devenue le deuxième plus grand partenaire commercial des Etats-Unis dans le monde arabe». «Je reviens en Algérie neuf ans après l´avoir quittée, et j´ai constaté que les échanges commerciaux entre les deux pays ont quadruplé». D´autre part, il a indiqué qu´il a discuté avec le président de la République de «l´importance à coordonner nos efforts concernant des questions régionales et du Proche-Orient». Il a précisé, dans ce contexte, que les Etats-Unis «veulent une paix durable au Proche-Orient», ajoutant qu´à ce titre, «nous avons demandé l´aide des pays arabes et amis». Avant, il était conseiller politique à l'ambassade d'Alger. Il revient en tant qu'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des Etats-Unis d'Amérique auprès de la République algérienne démocratique et populaire. Il remplace Erdman, ce barbu très serein, qui ne ressemblait en rien au tonitruant Cameroun Hume qui s'ingérait dans le débat national par presse interposée ou à Janet Ann Sanderson, peu loquace, dont la venue a coïncidé avec le début du premier mandat de Bouteflika. Ford était «dialoguiste» avant le 11 septembre 2001. On ne sait s'il l'est encore en septembre 2006.